Paroles d'experts : A-t-on encore besoin de journalistes en 2022 ?

Jan 20, 2022 in Pérennité des médias
Des distributeurs de journaux sous la neige

Le Forum de l’ICFJ devient le Forum Pamela Howard de l'ICFJ sur le Reportage des Crises Mondiales pour aider les journalistes à couvrir toutes les plus grandes crises mondiales. Rejoignez-le dès maintenant.

C’est la nouvelle année 2022, et les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) et surtout les réseaux sociaux continuent encore d’acquérir un puissant pouvoir de diffusion de l’information. Ces réseaux sociaux bouleversent le journalisme. Et la question "A-t-on encore besoin de journalistes en 2022 ?", semble plus qu’une évidence. Et si l'on répond par l'affirmative, de quel(s) type(s) de journalisme, de contenus ? 

Ces interrogations qui interpellent sur l’avenir du journalisme ont été décortiquées le 13 janvier dernier au cours du premier webinaire de l’année 2022 organisé par le Forum Pamela Howard de l'ICFJ sur le Reportage des Crises Mondiales.

Pour en débattre, Kossi Elom Balao, directeur dudit Forum a invité Eric Scherer, directeur de l'innovation et de la prospective de France Télévisions, et journaliste-reporter depuis 1985. 

 

Voici quelques morceaux choisis issus de cette session. 

"On a besoin plus que jamais des journalistes !", a lancé Eric Scherer. Pour ce spécialiste des nouveaux médias, si toute personne peut témoigner d’un événement grâce aux réseaux sociaux et d’autres outils, tout le monde ne peut se prévaloir d’être un journaliste. 

"C’est certain que chacun peut être témoin d’un événement ici ou là, que ce soit dans un pays ou dans une ville et peut en parler ou en témoigner mais pour rendre compte de cet événement, pour l’expliquer, pour l’hiérarchiser ou pour le contextualiser, je pense qu'il faut un professionnel, et ce professionnel c’est un journaliste qui va pouvoir donner du sens à cet événement", explique-t-il. 

"Même s’il n’est pas obligatoire de passer par une école de journalisme avant d’être un journaliste, on ne s’improvise pas journaliste. [...] Cette formation peut se faire au sein d'une rédaction, sur le terrain, ou auprès d’experts du sujet que l'on veut couvrir", indique Eric Scherer. 

La mission du journalisme n’a pas changé 

Le journaliste a pour mission d’après Eric Scherer de témoigner, de faire comprendre, d’expliquer le monde et de donner du sens à ce qui se passe dans les grands comme petits événements. 

Il est aussi appelé à montrer les choses que les puissants, les puissances économiques, administratives, sportives et financières voudraient cacher au monde. Le journaliste devrait ainsi s’atteler à faire partager la réalité au reste de la population. Et cette mission n’a pas changé malgré les bouleversements que rencontre le journalisme, pense cet ancien journaliste de Reuters et de l'Agence France Presse. 

"C’est de plus en plus dur parce qu’aujourd’hui évidemment on est confronté à beaucoup de rumeurs, de fausses informations, le fait que les gens croient de plus en plus à des choses qui ne sont pas vraies. La défense de la vérité, ou d’une réalité devrait être le rôle d’un média", estime le directeur de l'innovation et de la prospective de France Télévisions. 

Expliquer le monde en 2022 

Pour Eric Scherer "on ne peut plus faire du journalisme en maintenant une distance avec l’audience". Ainsi, pour expliquer le monde en 2022, les journalistes doivent se rendre sur le terrain. Là, ils devront rencontrer et écouter la population. Il faut qu’il ait une co-construction ou une co-production de l’information avec les publics et les citoyens. 

"Il faut être beaucoup plus proche du terrain, toujours à l’écoute de ce qui se passe, essayer de comprendre, essayer d’anticiper, et de trouver des signaux faibles dans ce qui est en train de se passer pour pouvoir informer", conseille Eric Scherer.

En 2022, on a besoin d’un journalisme qui explique et qui couvre la réalité du monde dans sa globalité. 

"La population veut comprendre ce qui se passe dans son environnement, elle veut comprendre les tenants et les aboutissants de son espace et le journaliste doit l’aider à comprendre par exemple la crise sanitaire actuelle, la crise climatique, ou encore les relations entre les hommes et les femmes", pense cet ancien directeur de la stratégie de l’AFP.

Les journalistes devraient aussi opter pour une approche davantage tournée vers le journalisme de solutions. "L’un des reproches qu’on fait souvent au journaliste, c’est de parler seulement des choses négatives et de contribuer finalement à la mauvaise humeur ou à la morosité de la société. Je pense que le journalisme de solutions fait partie des pistes d’avenir." 

Ne pas ignorer les menaces 

Les médias doivent aussi faire face à des menaces, notamment économiques. "C’est de plus en plus difficile de faire vivre des rédactions financièrement", relate-t-il, lui qui possède 37 années d’expérience dans le journalisme.  

De plus, il existe des menaces que l'auteur du livre A-t-on encore besoin des journalistes ?, qualifie de "menaces de confiance ou de défiance de la population" vis-à-vis des journalistes. 

"Le pouvoir du journaliste est partagé [...] avec l’audience du moment où il y a une démocratisation de l’écriture et qu’il n’est plus le seul à raconter les événements", regrette l'ancien journaliste de chez Reuters.


Photo : Matt Popovich  via Unsplash, sous licence CC