Depuis deux ans, de nombreux journalistes guinéens vivent les périodes les plus sombres de l’histoire de la presse guinéenne. Ainsi, les nouvelles formes de persécutions et les conditions précaires de travail, ont poussé certains journalistes à s’exiler pour mieux s’épanouir ou pour se protéger.
Ces derniers temps, de nombreux journalistes guinéens ont abandonné leur poste dans divers médias, partant à la recherche du bonheur ailleurs. Exercer le métier de journaliste en Guinée implique d’énormes sacrifices. Ces journalistes exilés ne s’imaginent plus continuer sur cette voie dans les années à venir. Pour l’instant, ils cherchent à s’épanouir financièrement et à se protéger des persécutions loin de leur pays.
Le paysage médiatique guinéen est en réalité très complexe. Les jeunes stagiaires n’ont pas de primes, les contractuels et titulaires sont sous-payés. Une importante partie des journalistes guinéens vivent des primes perçues après la couverture des événements. D’autres moyens de subsistance, comme des petites subventions venant des organisations pour la réalisation des reportages, sont considérés comme des “bouche-trous” par certains journalistes.
Les mêmes causes de départ
Pour la rédaction de cet article, nous avons contacté quelques journalistes guinéens qui ont été contraints de quitter leur pays. Tous partagent des raisons similaires : ils ont quitté la Guinée pour chercher une vie décente ou pour fuir un environnement médiatique de plus en plus oppressant, où les journalistes sont persécutés, enlevés et parfois même victimes de violences. En exemple illustratif, l’enlèvement de Habib Marouane Camara en début de décembre 2024. Depuis, aucune trace de lui.
Ce témoignage glaçant de ce journaliste qui a souhaité garder l’anonymat, et qui se fera appeler dans cet article Alexandre, dépeint une situation inquiétante.
“C’est cette situation qui pousse beaucoup à quitter le pays. Si les conditions pour ton épanouissement ne sont plus réunies dans ce que tu fais, changer de cap devient presque une obligation, surtout dans un pays où la majorité des journalistes sont sous-payés, du moins ceux qui ont un salaire,” déclare-t-il.
Le mauvais traitement salarial des journalistes dans les médias précipite le départ de beaucoup d’entre eux. Alpha Ibrahima Bah, désormais ex-reporter du Groupe Evasion, nous raconte ses périodes difficiles en Guinée, où il peinait à joindre les deux bouts.
“En raison de l’environnement complexe du paysage médiatique guinéen, j’ai pris la décision difficile de quitter mon pays pour m’installer en Europe, où je pourrais mieux m’épanouir. J’ai passé près de neuf mois sans salaire, ni prime.”
Le jeune reporter pense que son exil va se prolonger, car il ne se voit pas revenir en Guinée dans les prochaines années.
“Je préfère attendre. Si des changements significatifs se produisent dans le pays, je pourrai effectuer mon retour,” espère Alpha Ibrahima Bah.
Pour renchérir sur ces conditions de travail inadéquates, Amadou Diallo, ex-rédacteur en chef du site UniverSciences.com, qui a aussi décidé de s’exiler, pointe du doigt les mêmes difficultés que ses confrères exilés.
“Il y a des problèmes économiques, et la précarité est très présente pour les journalistes en Guinée,” regrette-t-il.
Deux de nos interlocuteurs ont affirmé avoir utilisé des voies légales pour s’exiler, notamment à travers des visas de travail ou des visas d’études. Le troisième n’a pas souhaité évoquer les conditions de son voyage.
Des persécutions de trop
Après la chute du régime du président déchu Alpha Condé, le 5 septembre 2021, la presse guinéenne espérait retrouver un certain équilibre avec l’arrivée de la junte au pouvoir. Après plus de trois ans du Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD) au pouvoir, on dénombre plusieurs persécutions des médias.
Dans un communiqué publié le 22 mai, le gouvernement guinéen a décidé de retirer les agréments de plusieurs médias du pays. Cette décision inquiétante s’ajoute à plusieurs autres restrictions, telles que le brouillage des ondes et le retrait de certaines télévisions des bouquets Canal+ et Startimes.
“Les restrictions imposées par les pouvoirs politiques, qui réduisent l’indépendance de certains hommes de médias, ont malheureusement conduit à la fermeture des organes ayant les plus grands auditoires,” affirme Alexandre.
Il ajoute : “Dans mon cas, je n’ai pas subi de répression directe, mais les conditions précaires et le traitement m’ont réprimé.”
Ces agissements des nouvelles autorités ont favorisé le départ de Bah Alpha Ibrahima, qui a considéré que l’environnement n’était plus viable pour lui.
“En constatant que les médias indépendants étaient retirés des bouquets Canal+, cet acte est un signe clair de la détérioration de la liberté de la presse. Les publicités se sont raréfiées, les revenus ont chuté et les journalistes, moi y compris, n’étaient plus payés,” conclut Alpha Ibrahima Bah.
Partir, malgré les difficultés de l’exil
Face aux nombreux défis de leur métier, de nombreux journalistes guinéens songent à l’exil, en quête d’un environnement plus propice à leur épanouissement. Ibrahima Sory Diallo, reporter à Espace TV et Radio Espace, des médias concernés par la fermeture, n’hésiterait pas à sauter dans un avion à la première occasion.
“Si une opportunité favorable se présente, je ne vais même pas réfléchir longtemps. Je la saisirai pour partir.”
D’autres, comme l’un de ses confrères anonymes, déplorent les conditions difficiles : “J’étais passionné par ce métier, mais les réalités me poussent à désespérer. Bien sûr que je vais quitter le pays.”
Pourtant, certains journalistes en exil continuent à exercer malgré les obstacles, tels que le manque d’accès à des sources locales et le défi d’informer à distance. Alexandre, exilé, s’appuie sur ses confrères pour recouper ses informations. “Les liens sont restés les mêmes, on partage toujours les mêmes plateformes.”
Dans leur pays de refuge, ces journalistes exilés font face à de nombreux défis tels que “la difficulté de trouver un emploi stable, l’isolement social, et le stress psychologique lié à la séparation de leur pays et de leur famille,” déplore Amadou Diallo.
Malgré les départs, certains journalistes choisissent de rester en Guinée pour poursuivre leur combat. Pour eux, partir n’est pas la solution.
Photo de Alexander Pogorelsky sur Unsplash