Le rédacteur en chef du service Afrique de TV5 monde et ancien chef rubrique Afrique à Courrier international, Ousmane Ndiaye, a offert des conseils pour permettre aux journalistes de renforcer la confiance du public envers les médias.
C’était lors d’une formation organisée le jeudi 21 mars dans le cadre du Sommet de l’ICFJ, Empowering the Truth, un programme mondial pour amplifier la portée des faits, soutenu par le Scripps Howard Fund.
D’entrée, M. Ndiaye énonce que pour la dernière édition du baromètre La Croix-Kantar Public, 57 % des Français considèrent qu’il faut « se méfier de ce que disent les médias sur les grands sujets d’actualité ».
Ce constat, M. Ndiaye pense qu’on le retrouve en Afrique et un peu partout. « Nous avons perdu la confiance du public et la question c’est : comment la retrouver ? Comprendre comment la retrouver, c’est comprendre le mécanisme qui a abouti à cette perte de confiance ».
Pourquoi la crise de confiance du public ?
M. Ndiaye évoque en premier lieu une dynamique générale de transformation de l’information qui date des années 90 et du début des années 2000, les exigences de l’instantanéité et de l’immédiateté. « Il faut aller vite aujourd’hui. »
Comment transmettre une information en temps réel tout en appliquant la technique journalistique ?
C’est ça le grand défi du journalisme moderne. M. Ndiaye précise que depuis une vingtaine d’années, c’est parce qu’on n’arrive pas à répondre à ces défis-là que le public connait une méfiance. Les mécanismes de désinformation sont sophistiqués avec l’avènement des réseaux sociaux. « Ce contexte de géopolitique de l’info et de géopolitique des médias a beaucoup joué dans la désaffection que nous connaissons aujourd’hui ».
Effacement des frontières entre la communication et l’information
Le rédacteur en chef du service Afrique de TV5 monde conseille aux journalistes « d’être clairs dans les médias et dans les projets. Il faut que les espaces soient circonscrits, qu’il y ait les éclairages clairs, une séparation très nette entre l’information et la communication. Même si les deux peuvent cohabiter dans les mêmes espaces, ils n’ont pas les mêmes objectifs ».
La communication, selon lui, a contribué à affaiblir la confiance du public. Le public ne sait plus à quel moment le journaliste fait de la communication ou de l’information. « Quand on fait la communication, il faut le dire et lorsqu’on fait de l’information, il faut le dire aussi. »
Le modèle économique
Aujourd’hui en Afrique, quand on crée un média ou lorsque le journaliste fait une enquête, on se demande « qui est derrière ? », la fameuse question. L’intervenant pense que ces dernières années les médias ont été achetés partout par des groupes d’intérêt économique parce qu’ils voient l’intérêt en termes de communication.
Comment se réinventer ?
Pour se réinventer, il faut de la valeur ajoutée dans la production des informations. On est passé du public passif au public actif. Donner confiance au public, c’est aussi effectuer un travail de veille en développant un vrai projet de feedback, intégrer le public dans nos processus de travail.
M. N’Diaye explique que des informations provenant du public sont aussi des sources d’information qu’on peut retravailler, revérifier avant une diffusion. Le directeur propose aux journalistes de s’adapter à leur public qui se renouvelle naturellement, en créant de nouvelles formes de narrations.
Nouvelles formes de narration
Une narration écrite doit être accompagnée de supports visuels pour toucher un public jeune. Le podcast est une adaptation d’une nouvelle forme de narration, il permet de toucher plus d’audience. L’un des enjeux est d’impliquer le public. Le succès du podcast traduit ce besoin, cette nouvelle façon de consommer du public. M. Ousmane Ndiaye invite les journalistes africains à se lancer dans cet univers.
Contextualiser l’information
Le public doit connaitre les modalités de production de l’information et de fabrication de l’enquête. Il faut prévoir un encadré pour raconter les circonstances de travail, les difficultés rencontrées sur le terrain pour une presse écrite par exemple. « Il faut que le public soit au courant des conditions de production de l’information : pourquoi cet angle ? Pourquoi ce choix ? Il faut accompagner la diffusion d’un témoignage du journaliste », explique M. N’Diaye.
L’interactivité comme modalité de production
Il faut de l’information traitée soit vérifiée avant diffusion. Comment diffuser l’information tout en la traitant ? Tel est le défi du journalisme moderne, et des exigences du live. Les médias ont créé de la désinformation telle que nous la connaissons aujourd’hui et maintenant ils doivent lutter contre leur propre invention.
M. Ndiaye recommande aux journalistes :
- D’avoir une hygiène de vie journalistique
- De réinventer le métier de journaliste
- D’éviter de généraliser
- De pratiquer un journalisme de précision
- D’être rigoureux sur la technique de traitement de l’information
- D’obéir à la technique des 5W et de la pyramide inversée
- De réinventer les genres rédactionnels
- De bien angler leurs sujets : après avoir identifié un problème, identifier un angle précis. Ensuite, identifier une histoire et un cas précis, l’illustrer et le documenter.
- Un langage factuel pour redonner la confiance au public.
Les sources de diffusion
On peut faire de l’information avec les groupes de diffusion. Il faut l’investir avec la démarche professionnelle. On peut faire de l’information sur Tiktok, Instagram… « à condition d’appliquer les mêmes règles dans la production de l’information », rappelle-t-il.
Photo de Emile Guillemot sur Unsplash