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Paroles d'experts : comment réinventer le modèle économique des médias ?

Aug 30, 2020 发表在 Bases du journalisme
De l'argent dans un pot

Chaque crise apporte son lot de défis mais aussi d'opportunités. Depuis le début de la crise du COVID-19, les médias ont affiché des performances remarquables en terme d’audiences. Que ce soit à la radio, à la télé ou sur le web, la consommation de l’information a été abondante. Mais dans le même temps, il existe une contradiction. Ces résultats ne se traduisent pas dans les recettes.

"Il y a eu durant la pandémie une chute libre des commandes publicitaires. Certaines stations télés-radios qui avaient des contrats à long terme ont vu des engagements annulés", se désole Emmanuel Wongibe, le directeur général adjoint de la chaîne de télévision nationale du Cameroun, la Cameroon Radio Television (CRTV). 

 

 

D’autre part, Philippe Couve qui a participé à l’aventure de plusieurs pureplayers en France (Rue89, Owni, Newsring) avant de fonder en 2010 une société qui appuie les entreprises dans le secteur des médias, explique que ce changement est aussi "lié à internet qui a fortement disrupté le modèle économique des médias en supprimant littéralement des lignes de ressources dans leur budget". 

Le constat est donc clair. Il y a un bouleversement sans précédent qui met à rude épreuve les modèles économiques des médias. Non pas que ces modèles soient mauvais, mais il sont mis à mal par à la fois la crise sanitaire et la récession économique qui avait déjà commencé à se signaler avant le COVID-19.

Ces deux facteurs arrivant au même moment ont créé un effet qui est difficile à comprendre. Si on a de bonnes audiences, cela devrait pouvoir se traduire en termes de recettes pour les entreprises mais ce n’est pas le cas. Devant une telle situation, comment sauver les médias ? 

C’est en réponse à cette question que le Forum de Reportage sur la Crise Sanitaire Mondiale a organisé le 20 août, un webinaire pour discuter de ce défi urgent et proposer des actions concrètes pouvant aider les organes de presse à retrouver leur santé financière et de nouvelles sources de revenus. Il était modéré par le journaliste Kossi Elom Balao, par ailleurs community manager du forum.

Faites entrer le public dans vos rédactions

C’est le conseil donné par Philippe Couve aux rédacteurs en chef, aux directeurs de rédaction et à tous les journalistes. Il conseille d’écouter son audience, d’organiser des rencontres, d’interroger les gens pour savoir comment ils s’informent parce qu’aujourd’hui, la concurrence ce n’est pas une autre radio, une autre télé ou une autre presse écrite.

La concurrence "c’est un conglomérat de choses qui arrivent via Facebook, WhatsApp, Instagram pour les plus jeunes avec un peu sur la télé et un peu sur la radio". Les journalistes, explique-t-il, doivent comprendre que l’univers d’information dans lequel baigne leur audience a complètement changé.

Si les journalistes ne prennent pas en compte cette réalité qui s’est encore cristallisée d’une manière plus forte à l’occasion de cette crise du COVID, ils ne vont pas être en mesure de répondre aux besoins et aux attentes de leurs audiences et ne pourront donc pas rentabiliser.

Mais "cette réalité varie d’un pays à un autre et d’un continent à un autre" nuance Emmanuel Wongibe qui enseigne à l’Ecole supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication à Yaoundé, sans toutefois nier que la presse, ces dernières années, a eu beaucoup de difficultés.

Ces difficultés à l’en croire n’ont pas été liées seulement aux facteurs exogènes mais plutôt à des facteurs nés de la manière dont les journalistes font leur travail. 

Faire du lobbying

Pour Elom Attissogbé, le directeur de publication de l'hebdomadaire togolais La Nouvelle Tribune, la stratégie qui serait intéressante pour les médias serait de faire du lobbying et d’aller vers des institutions, des fondations philanthropiques et des organismes internationaux qui financent la presse ou qui sont sensibles à la presse en difficulté.

Être acheté par ses lecteurs

Au-delà du fundraising auprès des organismes internationaux, Elom Attissogbé dont le journal fait partie des 5 300 journaux sélectionnés dans le monde pour bénéficier du Fonds d'Urgence de Google, estime qu’il faut qu’au niveau de chaque Etat, un fonds d’aide à la presse soit mis en place.

Un avis que ne partage pas Philippe Couve qui pense plutôt que "si un gouvernement décide des médias qu’il va aider et de ceux qu’il ne va pas aider, il s’octroie une sorte de droit de vie et de mort un tout petit peu sur les médias en question".

Le fondateur de Samsa.fr croit que le seul horizon véritablement crédible c’est d’être acheté par ces lecteurs. "La seule solution est de virer aussi rapidement que possible vers une économie qui repose d’abord sur le financement des audiences pour les médias de presse écrite ou issus de la presse écrite et les médias numériques."

En ce qui concerne les médias audiovisuels, poursuit-il, c’est un peu plus compliqué dans la mesure où ce n’est pas une habitude de payer pour sa télé ou sa radio. Mais dans ces domaines-là, on peut encore trouver une place pour de la publicité puisque les géants du numérique tels que Facebook ou Google ne sont pas encore présents sur ce secteur particulier.

Néanmoins, précise-t-il, ces derniers détournent par leur simple existence une partie de la manne publicitaire puisqu’il y a des annonceurs qui au lieu de mettre tout leur argent sur des campagnes télévisées vont en investir une bonne partie sur des campagnes sur les réseaux sociaux ou des campagnes de référencement etc.

Et de conclure qu’il n’y a pas de recette miracle. La seule question c’est quel lien de confiance et de proximité un média arrive à nouer ou renouer avec son audience et ça passe à la fois par la qualité du journalisme qui est produit mais également par une forme d’attitude. "Une attitude plus ouverte vis-à-vis des audiences."

A l’en croire, il est évident que l’avenir des médias passera par une reconnexion avec leurs lecteurs et un financement par leurs audiences de manière directe si possible. Ce qui pose aujourd’hui la question des moyens ou modes de paiement à disposition pour les audiences sur le continent africain. Un grand défi auquel sont confrontés les médias sur ce continent.


 Photo sous licence CC par Micheile Henderson