Parentalité et carrière des femmes journalistes en Côte d’Ivoire : entre défis et résilience

Dec 16, 2024 в Diversité et inclusion
Femme avec enfant

Dans le paysage journalistique ivoirien, où l’information se consomme à un rythme effréné, la parentalité de la femme journaliste constitue un défi silencieux mais crucial. Concilier responsabilités familiales et exigences professionnelles oblige de nombreuses femmes journalistes à redéfinir leurs priorités, souvent au prix de leur progression de carrière. Cette quête d’équilibre reflète non seulement des luttes individuelles, mais aussi des structures sociétales encore inadaptées aux réalités modernes.

Un frein structurel à la progression professionnelle

La parentalité, bien qu’appréciée culturellement, représente une entrave majeure pour les femmes journalistes. David Youant, directeur de publication d’Alertes Infos, souligne qu’une baisse d’engagement professionnel dictée par les contraintes du métier est le plus souvent constatée chez les femmes journalistes mères.

"La parentalité baisse le rendement des mères journalistes, en ce sens qu'elles n'ont plus la même disponibilité pour le travail de reporter. Certaines sont obligées de changer de métier à cause des horaires imprévisibles imposés par l’actualité."

De son côté, Mimi Koro, journaliste à Business24, explique sa démarche proactive :

"Mon enfant reste la priorité. Le jour où un problème familial se présente, je préviens ma hiérarchie. Il n’y a pas vraiment de choix : le travail est important, mais il y aura toujours quelqu’un pour le faire à ma place."

Discrimination et poids des stéréotypes

Malgré leur engagement, les femmes journalistes sont confrontées à des stéréotypes persistants. Les travaux d’Agnès Kraidy en collaboration avec  l’Institut Panos montrent une sous-représentation des femmes dans les médias ivoiriens et une invisibilité de leur plume dans des sujets jugés "masculins" tels que la politique ou l’économie, ou des sujets invitant à un grand débat public.

Mimi Koro témoigne d’avoir été écartée lors d’un recrutement au sein d’une rédaction en raison de sa maternité. Un épisode de sa carrière qui l’a particulièrement interpellée.

Cette situation est parfois amplifiée par des violences verbales et des intimidations, comme le rapporte Marlyse Aimée Konan, présidente de l’Association des Femmes Journalistes de Côte d’Ivoire (AFJCI) :

"Certaines femmes abandonnent le métier à cause des violences verbales ou des propositions indécentes qu’elles subissent pendant leur grossesse. Il y a également un refus systématique de les nommer à des postes de décision."

Des exemples inspirants : parentalité et adaptation

Pour d’autres, l’équilibre entre vie familiale et carrière reste possible grâce au soutien conjugal et à une organisation rigoureuse. Solange A., journaliste, partage son expérience : "J’ai expliqué à mon mari les contraintes de mon métier. Au début, il se plaignait de mes retours tardifs, mais grâce au dialogue, il m’accompagne même parfois sur le terrain. Tout est une question de compromis et d’organisation."

Cependant, ce succès reste une exception. Beaucoup de femmes ne bénéficient pas d’un tel soutien, ce qui complique leur situation.

Des solutions encore insuffisantes

Des efforts institutionnels existent, mais restent limités. Selon le sociologue Ghislain Coulibaly, spécialiste en genre et masculinité positive :

"La Côte d’Ivoire dispose de politiques favorisant l’égalité des chances, mais leur mise en œuvre demeure un défi."

En effet, avec un indice d’inégalité de genre de 0,638, le pays affiche encore de profondes disparités entre hommes et femmes. David Youant appelle à une meilleure application du Code du travail et à des aménagements spécifiques :

"Nous essayons de créer des rotations et d’accorder des permissions liées à la vie familiale pour favoriser un équilibre. Mais il est important de ne pas instaurer de statuts spéciaux, qui compliqueraient la gestion des ressources humaines."

Parfois le Code du travail n’est pas toujours la base des aménagements d’horaires au sein des rédactions. Les permissions se donnent dans ce cas en fonction de l’urgence familiale, afin que ces journalistes mères puissent concilier vie de famille et vie professionnelle, le but, étant de faire en sorte que le travail n'absorbe pas la vie de famille et vice versa.

Une piste pour l’avenir

Pour Ghislain Coulibaly, l’intégration du genre dans les politiques des médias est essentielle pour surmonter ces défis :

"L’inclusion par les institutions de la notion de genre dans le paysage médiatique permettra de réguler les problématiques auxquelles les femmes journalistes sont confrontées, notamment l’impact des tâches domestiques, et l’influence de la parentalité sur leur rendement."

Des initiatives comme celles de l’AFJCI, le réseau des femmes journalistes qui organise des formations et sensibilise les patrons de presse, marquent des avancées mais un changement systémique est nécessaire. La parentalité doit être reconnue comme une réalité collective, et non comme un obstacle individuel. Les médias doivent produire des études de référence pour diagnostiquer les problèmes et mettre en place des solutions adaptées.

La parentalité, loin d’être un frein insurmontable, est un enjeu qui nécessite une transformation profonde du milieu médiatique. En Côte d’Ivoire, l’épanouissement des femmes journalistes passe par des politiques inclusives, une meilleure sensibilisation et une reconfiguration des normes professionnelles. Les médias doivent s’engager pleinement pour offrir un environnement où les femmes, mères ou non, peuvent conjuguer passion et responsabilités sans compromis.

 


Photo de Andrae Ricketts sur Unsplash