Les journalistes peuvent-ils sauver une démocratie ?

Автор Mansa Moussa Mara
Oct 4, 2024 в Bases du journalisme
Journaux

Il est inconcevable d’imaginer une société démocratique sans une presse libre. Toutefois, les relations entre journalisme et démocratie n’ont pas toujours été harmonieuses. Les journalistes, dans une société démocratique, se doivent de jouer leur rôle en toute impartialité. À l’occasion de la Journée internationale de la démocratie, le Forum Pamela Howard d’IJNet, dirigé par Kossi Balao, a organisé un webinaire enrichissant sur les responsabilités des journalistes dans une démocratie.

Parmi les intervenants figurent Serge Daniel, correspondant de RFI, France 24, TV5 Monde et AFP au Sahel, Moustapha Diop, directeur de Walf TV au Sénégal, et Alafé Wakili, patron de presse du quotidien l’Intelligent d’Abidjan en Côte d’Ivoire. Ensemble, ils ont souligné l’importance d’une couverture journalistique responsable pour éclairer le public et soutenir les valeurs démocratiques.

 

La presse, un « contre-pouvoir »

Considérée par certains comme le quatrième pouvoir, la presse se distingue par son rôle de vigie de la démocratie. Pour certains, elle joue un rôle essentiel en alertant les dirigeants qu’ils ne sont pas au-dessus des lois. Serge Daniel décrit ainsi le journalisme comme un contre-pouvoir. « Moi, je dis non. Le journalisme, ce n’est pas un pouvoir, mais un contre-pouvoir. C’est justement parce que nous sommes un contre-pouvoir qu’on ne peut pas imaginer une démocratie sans presse.»

Moustapha Diop partage cette vision, affirmant qu’« on ne peut pas concevoir une démocratie sans une presse forte, solide et indépendante, qui travaille dans les meilleures conditions ». Le rôle de la presse est donc de mettre en lumière les faits sans orienter l’opinion publique.

L’honnêteté est au cœur de la pratique journalistique. Les journalistes doivent rapporter les faits tels qu’ils sont, sans exagération ni manipulation. Serge Daniel insiste sur ce point. « Ce qu’on demande à un journaliste, c’est d’être honnête. Vous avez vu deux morts, vous ne devez pas dire que vous en avez vu dix. »

Moustapha Diop renchérit en soulignant l’importance d’une objectivité minimale dans le traitement de l’information. « Quand on est honnête, on rapporte les faits comme ils sont. Justement, dans la collecte de ces faits-là, dans le rapport que nous avons avec ces faits, dans le traitement de ces faits-là, il y a un minimum d’objectivité qu’on demande. »

Alafé Wakili admet que l’indépendance absolue est difficile à atteindre, car certains journalistes défendent des causes. Toutefois, il précise que même dans la défense d’une cause, l’honnêteté et l’intégrité restent primordiales. « L’indépendance n’est pas possible, parce qu’il y a des journalistes qui défendent des causes, considérées comme de bonnes causes, mais toute cause paraît bonne. Mais ce qu’il faut, c’est d’être honnête et intègre dans la défense de la cause, » précise-t-il.

Indépendance et conditions de travail précaires

Les journalistes sont souvent confrontés à des conditions de travail difficiles, notamment en Afrique, où les subventions sont mal utilisées et les salaires insuffisants. Face à cette situation qui ne favorise pas la bonne pratique du métier, les panélistes ont évoqué plusieurs solutions pour améliorer leur indépendance :

● Mettre en place une convention collective

● Retirer à l’État le contrôle de la délivrance des cartes de presse

● Réorganiser la profession en définissant des règles claires

● Créer des agences de presse capables de générer des revenus pour garantir l’indépendance des journalistes.

● Mettre en place un salaire minimum pour les professionnels du journalisme.

Serge Daniel souligne que l’unité au sein de la presse est cruciale pour contrer les tentatives de division par les dirigeants. « Les dirigeants, ce qu’ils ne veulent pas voir, c’est une presse unie, parce qu’ils profitent de la division de la presse », souligne-t-il. « Donc oui, je répète, on peut être journaliste indépendant d’esprit, en action, sur le continent, mais ça ne dépend que de nous, mais également de ceux qui nous gouvernent. Si on crée ces conditions-là, il y aura plus d’honnêteté. »

Moustapha Diop note pour sa part que la convention collective existe au Sénégal mais elle n’est pas toujours respectée. « Certains patrons de presse font mieux que ce que prévoit ladite convention et d’autres font beaucoup moins. La carte de presse professionnelle est décernée par une commission dirigée par un journaliste et non l’État. Mais les réalités sont presque les mêmes partout en Afrique. »

Alafé Wakili, de son côté, rappelle que certains médias ont été créés dans des conditions précaires, parfois par passion, pour mener des combats politiques. « Des gens ont créé des journaux sans grands moyens, et les gens venaient écrire sans même chercher de salaire, parce qu’ils avaient une passion, parce qu’ils voulaient mener une lutte, parce qu’il y avait un combat à faire. Et ils ont fait ce combat-là pour bâtir des médias qui sont devenus des références. C’était une bataille politique, il servait des causes, et avec le temps, ils se sont construits », déclare-t-il.

 

Comment les journalistes peuvent-ils sauver une démocratie ?

Les journalistes jouent un rôle essentiel dans la sauvegarde des démocraties, surtout en période de crise. Ils doivent s’adapter aux contextes politiques et rester vigilants. Par exemple, il peut être nécessaire de fermer temporairement un média en danger pour mieux revenir plus tard. Les journalistes entretiennent leur carnet d’adresses qui permet aussi aux journalistes d’exercer une influence positive.

Lors du coup d’État au Mali en 2012, un journaliste a ainsi conseillé le chef militaire sur l’importance de maintenir les médias ouverts. Ce type d’intervention montre que les journalistes, au-delà de leur rôle d’information, peuvent également contribuer à la stabilisation des institutions démocratiques.

Les journalistes, en tant que contre-pouvoir, sont essentiels au bon fonctionnement de la démocratie. Leur capacité à informer honnêtement le public et à surveiller les actions des dirigeants est une garantie de la vitalité démocratique. Cependant, pour remplir pleinement leur mission, ils doivent bénéficier de conditions de travail décentes et d’une indépendance réelle.

Dans un monde où la désinformation et les pressions politiques sont de plus en plus fréquentes, il est crucial de réaffirmer le rôle fondamental des journalistes dans la préservation des valeurs démocratiques.

 


 

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