Paroles d’experts : quelles leçons tirer de la pandémie en matière d’éducation ?

par Marie Luff
10 sept 2020 dans Couvrir le COVID-19
Un enfant derrière son écran d'ordinateur

La crise mondiale sanitaire liée au COVID-19 a aussi des répercussions sur les enfants. Quelles sont les leçons à tirer en matière d’éducation ? IJNet s’est associé à l’UNICEF Madagascar pour apporter des éléments de réponse, lors d’un webinaire, avec deux experts de l’organisation.

Selon un rapport de l’UNICEF, 40 millions d’enfants à travers le monde sont des victimes collatérales du COVID-19 car ils ont été totalement ou partiellement privés d’éducation. Au-delà de l’école, d’autres dispositifs menacent de s’écrouler comme la protection infantile, l’accès aux soins ou à la nourriture. La discontinuité éducative creuse le fossé entre l’école et les plus vulnérables. "Le moment est charnière pour repenser le système éducatif", affirme Nicolas Reuge, conseiller principal en éducation chez UNICEF.

Andréa Clemons est spécialiste de l’éducation au sein d’UNICEF Madagascar et son analyse n’est guère plus encourageante : "avant la pandémie, il y avait déjà une crise d’apprentissage profonde (…) désormais elle est exacerbée par le COVID-19". À l’appui, ce pourcentage inquiétant et antérieur à la crise : moins de 25 % des 7-14 ans sont capables de comprendre une phrase écrite. Quelles répercussions pour cette tranche d’âge, à l’issue de la crise ? L’experte abonde dans le sens de son confrère en dressant un portrait sombre du pays où elle officie. "Pendant le confinement, les appels pour des violences physiques, émotionnelles ou sexuelles ont augmenté (…) Il faut régler les problèmes et les lacunes du système".

À Madagascar, les établissement scolaires ont successivement été fermés puis rouverts puis refermés avant d’être rouverts… de quoi semer le doute dans les esprits. À travers le monde, cette question partagée par des millions de parents et d’enseignants : doit-on renvoyer les enfants à l’école ?

Retour à l’école : bonne ou mauvaise idée ?

Chaque pays est un cas de figure. Nicolas Reuge a sillonné l’Afrique et relate son expérience. Comment faire respecter la distanciation sociale en Afrique Subsaharienne lorsqu’une centaine d’enfants sont assis à même le sol ? Andréa Clemons surenchérit avec les contraintes techniques. Comment se laver les mains lorsque il n’y pas de point d’eau ? Comment respecter les mesures d’hygiène lorsqu’il n’y a pas de système d’assainissement ? "On ne pourra pas remplir toutes les cases (du protocole sanitaire, ndlr)", avertit Nicolas Reuge avant de poursuivre "il faut prévoir des mesures temporaires" compatibles avec les recommandations de chaque gouvernement.

D’après lui, il faut apprendre des leçons passées. Il relate la crise Ebola, en 2014. Un protocole sanitaire avait été mis en place en Guinée, en Sierra Leone et au Liberia avec un suivi des enfants et un calendrier scolaire accéléré. Grâce à ces mesures, pas de décrochage scolaire ni de perte d’effectifs et l’expert s’en félicite ! Nicolas Reuge pense qu’une longue fermeture des écoles pourrait avoir des conséquences dévastatrices sur certaines catégories de la population, au-delà du risque potentiel de contamination. "On mesure plus de cas car on teste davantage (…) on a beaucoup moins de morts", tempère-t-il.

Mais comment rassurer des parents, des familles voire des communautés entières lorsque l’enfant est perçu comme un vecteur potentiel de transmission ? Andréa Clemons mise sur la communication pour restaurer la confiance et mesure, elle aussi, les enjeux. Beaucoup d’enfants souffrent de malnutrition dans les pays en voie de développement tandis que la pauvreté ne cesse de croître dans les sociétés occidentales. L’école permet d’assurer un repas journalier. Sans elle, la violence au sein de la cellule familiale n’est plus repérable et certains services cessent de fonctionner. L’experte pense notamment aux enfants handicapés, et à leurs familles, qui ont particulièrement souffert de la situation, ces derniers mois, à Madagascar.

Méthodes éducatives alternatives

Si 90 % des pays ont mis en place l’enseignement à distance, "ces politiques d’éducation ont-elles ciblé tout le monde ?" interroge Nicolas Reuge. En Afrique, les coupures de courant sont fréquentes et l’accès à Internet n’est pas systématique. Tous les foyers ne disposent pas d’un ordinateur et répartir son utilisation au sein d’une fratrie n’est pas toujours facile. Constat partagé par Andréa Clemons à Madagascar : "12 % de la population a accès à internet et 4 % d’entre elle possède un ordinateur mais seulement 1,25 % exploite les ressources".

"Qu’apprennent-ils en temps réel ?" voilà l’autre question majeure posée par Nicolas Reuge. Interrogation étayée par sa collègue : comment un enfant de 6 ou 7 ans peut-il apprendre sans la présence d’un professeur et en totale autonomie ? Andréa Clemons poursuit : "cela provoque frustration et inquiétudes chez les parents et les professeurs". Nicolas Reuge est un adepte des programmes pédagogiques radiophoniques et télévisuels et "trouver des plateformes alternatives d’éducation" lui apparaît comme une évidence. Assurer le suivi de l’éducation, et en toutes circonstances, devrait être le prochain défi des gouvernements et des acteurs de l’éducation. Optimiste, il conclut : "La crise doit déclencher une réflexion plus importante : quelle éducation veut-on pour nos enfants ?".


Photo sous licence CC par Thomas Park via Unsplash


Marie Luff est journaliste pigiste. Elle travaille essentiellement pour la télévision, en national et en région. Formée à l'ESJ Pro à Montpellier, elle est également secrétaire de l'association Profession : Pigiste (https://pigiste.org).