A Madagascar, la presse victime collatérale de la pandémie

par Tahiri RALAMBOMAHAY
7 juil 2020 dans Couvrir le COVID-19
Un photographe

Le 4 juillet, face à la hausse exponentielle des personnes dépistées positives au COVID-19, le Gouvernement malgache a décidé de revenir au confinement total pour la région Analamanga (dont fait partie la capitale Antananarivo). Le nombre de personnes infectées quotidiennement atteint depuis quelques jours les 200 malades. Le reconfinement total est un véritable problème pour les organes de presse, ces derniers ayant déjà eu beaucoup de difficultés à surmonter la période de confinement partiel depuis mi-mars et le déconfinement progressif entamé mi-mai.

Deux journaux, un hebdomadaire et un magazine ont suspendu leurs impressions

Dès l’apparition des premiers cas de COVID-19 à Antananarivo en mars dernier, le Gouvernement a proclamé l'état d’urgence et le confinement partiel sur tout le territoire national. La majorité des organes de presse ont alors suspendu l’impression de leurs journaux en se focalisant sur les publications en ligne. Seuls trois journaux (LExpress de Madagascar, La Gazette de la Grande Île et Ao Raha) ont maintenu leurs tirages.

En même temps, deux groupes de presse ont suspendu la publication de certains de leurs titres. Le groupe  appartenant à l’ex-président de la République Marc Ravalomanana a arrêté provisoirement la publication de ses deux journaux : Le Quotidien (en français) et Ny Vaovaontsika (en malgache). Le reconfinement total adopté samedi dernier par le Conseil des ministres réduit encore plus les chances de voir reprendre la publication de ces deux médias. Le groupe de l’ex-chef de l’Etat se limite actuellement aux chaînes audiovisuelles : MBS (TV et Radio) et Radio Mada.

De même pour le groupe Prey d'Edgard Razafindravahy, l’ancien Président de la Délégation spéciale d’Antananarivo, qui a été contraint de cesser l’impression de l’hebdomadaire L’Hebdo de Madagascar et du magazine mensuel La Sentinelle. En sacrifiant ces deux titres, le groupe veut maintenir à flot L’Express de Madagascar et les trois chaînes audiovisuelles RTA (Radio Télévision Analamanga), RFM (Radio France - Madagascar) et Radio Antsiva.

Chômage technique et coupe dans les salaires des journalistes

Dans ce contexte de crise, plus d’une soixantaine de journalistes se sont retrouvés au chômage depuis le mois de mars. La cessation des activités du Quotidien et de Ny Vaovaontsika a poussé plus d’une quinzaine de journalistes, qui ont une moyenne d'âge de trente ans, au chômage. De même, Sylvain Ranjalahy, administrateur et directeur de publication de L’Express de Madagascar, a indiqué que 62 journalistes sur 133 ont dû être mis en chômage technique depuis la suspension de l'édition des titres L’Hebdo de Madagascar et L’Essentielle.

Les autres organes de presse ont d’abord opté pour la résiliation des contrats des stagiaires et des journalistes en période d’essai. Ensuite, pour sauvegarder l’emploi et la parution des journaux, certains ont procédé à des coupes dans les salaires en concertation avec le personnel et les délégués syndicaux. Un petit tour des rédactions nous révèle que les baisses de salaires peuvent atteindre jusqu'à 35 % dans certains cas. 

Un reconfinement fatal à certains médias ? 

Face à cette situation de crise, le président de l’Ordre des Journalistes de Madagascar (OJM) Gérard Rakotonirina a souligné que les entreprises de presse et les journalistes traversent une période très difficile en indiquant au passage: “Toutes les sociétés de presse rencontrent actuellement des difficultés financières. Il y a celles qui ont déjà mis la clef sous la porte, d’autres qui envisagent d’entamer incessamment une mise au chômage partiel de leurs personnels”. Le reconfinement total initié depuis le samedi 4 juillet pourrait donc être fatal à d’autres sociétés de presse si aucun soutien n’arrive de l’Etat.

Le président de l’OJM déplore l’absence d’un plan de soutien aux médias. Récemment, l’Etat a lancé des consultations avec les sociétés du secteur privé pour tracer une voie afin de relancer l'économie nationale mise à mal durant le confinement et le déconfinement progressif de mi-mars à fin juin. Gérard Rakotonirina estime que "les médias méritent un peu de considération puisque les sociétés de presse figurent parmi les structures réquisitionnées dans le cadre de l'état d’urgence sanitaire".

Baisse des recettes publicitaires

Par ailleurs, les recettes des groupes de presse dépendant majoritairement des annonces publicitaires, la réduction des opérations de communication des principaux acteurs de la vie économique nationale, due aux conséquences de la pandémie, met à mal les budgets. Le gouvernement, dans le cadre du reconfinement total, a interdit la vente des journaux par les crieurs et les kiosques. Le coût d’impression est très lourd vu que les sociétés d’imprimerie doivent importer des tonnes de bobines de papiers journaux d’Asie, les fournisseurs d’Afrique du Sud ayant suspendu leurs activités il y a quelques années.

L’avenir est sombre pour la presse malgache avec le reconfinement total proclamé le 4 juillet. Les groupes de presse ont besoin du soutien de l’Etat pour maintenir et continuer leurs activités dans le respect de la préservation de l'indépendance des médias.


Tahiri Ralambomahay est journaliste indépendant à Madagascar. Ancien fondateur et directeur de rédaction des journaux La Ligne de mire et Triatra du groupe RLM Communication de 2016 à 2019, il a débuté sa carrière à La Gazette de la Grande Ile en 2008.


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