Les jeunes, nouveaux outils de lutte contre la désinformation en ligne

par Igor KOUTON
4 juin 2024 dans Lutte contre la désinformation
Un jeune allongé regarde son téléphone

La désinformation est omniprésente et n’épargne plus personne. Elle est propagée à une vitesse fulgurante et malgré les moyens et outils mis en place par les professionnels des médias, le phénomène ne semble pas reculer.

Dans certains pays, de nouvelles méthodes de lutte contre les fake news sont introduites et expérimentées. Au Bénin ou au Sénégal, les populations, qui sont à la fois relais et principales cibles des fausses informations, sont désormais mises à contribution dans le cadre de la lutte contre la désinformation en ligne.

Les citoyens, nouveaux traqueurs des fausses informations

Plusieurs fois par mois, Polaris asso, une organisation qui œuvre pour l’inclusion numérique, réunit, sensibilise et forme des dizaines de jeunes sur les enjeux liés à la désinformation. Dans la matinée de ce deuxième lundi du mois de décembre 2023, une cohorte de 25 jeunes passe son tour et nous nous sommes joints à eux. Pour Ange Fiacre Nougbodohoué, chef du projet INFAUX chez Polaris, ce programme, soutenu par l’Organisation Internationale de la Francophonie, vise essentiellement à "instruire les jeunes sur les questions de la désinformation et les outiller à y faire face." Pendant une journée entière, plusieurs formateurs, dont deux venus de la France pour l’occasion, ont animé des sessions interactives consacrées à l’identification des fausses informations, de leurs sources, de leurs auteurs et des moyens pour bloquer leur propagation. Des corpus de textes de lois punissant les personnes qui se seraient rendues coupables de publication de fausses informations, aux dommages que ces dernières peuvent causer aux victimes en passant par l’utilisation des outils numériques de détection et de datation de fausses images, les thématiques abordées étaient variées.

"Les modules sont spécifiquement conçus pour aider les jeunes à prendre conscience de l’impact des fausses informations, à les identifier, à identifier leurs sources," explique Mathieu Régis, un des formateurs. Au terme de cette activité, Mouhamad Cissokho, jeune activiste et enseignant de formation, s’extasie sur les nouvelles compétences qu’il a acquises : "Je peux maintenir dire que j’ai les compétences qu’il faut pour vérifier la fiabilité d’une information en ligne, pour vérifier l’authenticité d’une image." Il assure que désormais son réflexe sera "de vérifier la véracité" de tout ce qu’il verra sur les réseaux sociaux avant de les partager.

Au Bénin, un programme similaire est en cours d’implémentation dans plusieurs villes comme Cotonou, Ouidah et Abomey-Calavi. Les collégiens et lycéens constituent la principale cible de ce projet. Il se déroulera essentiellement dans les cours de récréation et constituera à apprendre aux plus jeunes, par des sessions de 30 à 45 minutes, comment réagir face aux informations provenant de sources non officielles, renseigne Roméo Akodjinou qui pilote le programme pour l’association Nuywin qui veut dire connaissance ou savoir en fon, une des langues parlées au Bénin. "A terme, nous voulons avoir des citoyens qui représentent des barrières contre la désinformation," explique-t-il. Actuellement, des discussions sont en cours avec les responsables des écoles ciblées pour que les premières séances de formation démarrent début juin 2024. "Il y a au total 9 écoles, à raison de 3 pour chacune des villes retenues dans le cadre du projet. Et nous formerons un premier lot 250 jeunes lors de la première phase qui débute en juin prochain," détaille-t-il.

A Dakar, un peu plus de 5 mois après l’atelier organisé par Polaris Asso, nous sommes repartis sur les lieux, dresser un premier bilan. "Il est un peu tôt pour mesurer l’impact de notre activité," a fait savoir M. Nougbodohoué avant d’ajouter : "mais je peux déjà vous dire que nous avons eu des retours positifs de certains jeunes qui ont transmis les connaissances acquises à d’autres jeunes dans leurs localités, Ziguinchor par exemple." Pour Serigne Guèye qui avait également pris part à ces sessions, l’initiation aux outils de détections de fausses informations en ligne a été bénéfiques. "Après ces différents ateliers, je lis autrement les informations que je reçois en ligne. Et j’aide même mes parents à faire le tri dans le flot d’images et de vidéos qu’ils reçoivent sur WhatsApp," témoigne-t-il.

Collaboration entre journalistes et citoyens

Certains jeunes, à l’image de Mouhamad Cissoko, qui sont outillés pour identifier les sources de désinformation en ligne se retrouvent parfois face à des faits ou informations dont la vérification nécessite une expertise qu’ils n’ont pas. "Dernièrement, j’ai vu circuler sur X certaines informations qui me paraissent douteuses. J’ai essayé de remonter la source de cette information mais je n’ai pas pu. J’ai utilisé toutes les techniques qu’on m’a apprises mais rien n’y fait. J’ai alors décidé de contacté un journaliste qui fait souvent du fact-checking pour solliciter son aide," détaille-t-il.

Ndèye Thiam, journaliste spécialisée dans la traque de la désinformation est-elle aussi souvent sollicitée. Elle a mis en place un numéro WhatsApp pour recueillir les contributions des citoyens qui veulent en savoir plus sur des informations qui leur paraissent douteuses en ligne. "Depuis que certaines organisations ont commencé à initier les citoyens au travail de fact-checking, on note une légère hausse de la vigilance sur le net," pense-t-elle.  Pour elle, cette coopération entre journalistes et citoyens est de nature à "amplifier l’impact de la lutte contre la propagation des infox." C’est un combat continu et acharné et quand on outille les citoyens, notamment les jeunes qui sont aussi des vecteurs de diffusion de fausses informations, on est sûrs que nous avancerons dans la bonne direction, conclut-elle.


Photo de Fausto García-Menéndez sur Unsplash