La fin de France Ô relance les discussions sur la visibilité des Outre-mer

par Florent Servia
27 août 2020 dans Divers
Un homme en haut d'une montagne

France Ô a cessé d’émettre le dimanche 23 août à minuit, après 15 ans d’existence. Dès lors, avec le passage en HD des chaînes locales 1ère (Polynésie la 1ère, Guadeloupe la 1ère, Guyane la 1ère...), quel avenir est réservé à la visibilité des territoires d'Outre-mer sur la télévision publique française ?

Cette mort, annoncée en 2018, entérine une politique budgétaire dictée par la réforme de l’audiovisuel public : 160 millions d’euros d’économies ont été demandés à France Télévisions, d’ici à 2022. Dans ce contexte la faible audience de la chaîne, jugée intimiste par ses adeptes, marginale pour ceux qui ont l’esprit comptable. Emmanuel Macron, qui s’était prononcé en faveur du maintien de la chaîne avant son élection, s’est rétracté en 2019, arguant qu’"avoir une chaîne nationale sur les Outre-mer n’est pas indispensable, car cela revient à justifier que nos Outre-mer n’ont pas droit de cité au cœur de France Télévisions". La fermeture de France Ô s’inscrit en fait dans la démarche globale du Pacte pour la visibilité des Outre-mer, établi en juillet 2019, et serait ainsi compensée par une présence diffuse et plus importante sur les autres canaux de France Télévisions. 

Doutes et pétition 

Des promesses faces auxquelles le doute subsiste puisqu’une pétition pour sauver France Ô a été signée par plus de 100 000 personnes. En cause, la crainte de voir disparaître l’attention accordée à des territoires d’Outre-mer souvent sujets au sentiment d’abandon. L’appel, lancé par 125 personnalités, dont Erik Orsenna, Audrey Pulvar ou Lilan Thuram, dans une tribune publiée par Libération, visait en effet à rappeler que France Ô contribuait au rayonnement culturel de ces territoires, laissant une place importante à "la diffusion de concerts de zouk, de maloya, ou de ukulélé, [à des] émissions littéraires, [des] pièces de théâtre d’Aimé Césaire, [des] fictions venant de Nouvelle-Calédonie ou de l’île de la Réunion, [des] documentaires sur l’histoire et la mémoire". 

Les parlementaires ultramarins, pas plus que l’opinion publique, n’auront réussi à se faire entendre. Selon Olivier Serva, député LREM de Guadeloupe et président de la délégation aux Outre-mer de l’Assemblée nationale, "France Ô avait un public intimiste mais assidu, il y avait cette vitrine vers l’Outre-mer, et cette possibilité de valoriser les journaux télévisés et les documentaires". Ces propos, tenus pour l’Agence France Presse (AFP), corroborent le constat tenu dans la tribune publiée dans Libération selon lequel, "si l’audience [de France Ô] atteint 0,6 % en 2018 dans l’Hexagone, elle y est multipliée par deux en Guadeloupe et se monte à 6,4 % à Mayotte, 6 % en Guyane, et 5,4 % en Polynésie (Mediamétrie 2019-2020). 

Les garanties de visibilité seront-elles suffisantes ? 

Les 25 engagements du Pacte pour la visibilité des Outre-mer, "pour garantir durablement la présence des outre-mer au centre de l’offre de l’audiovisuel public", suffiront-ils à combler la disparition d’une grille entièrement dédiée aux Outre-mer ? Jusqu’à présent, si l’on en croit toujours cette tribune, "selon le rapport du CSA de décembre 2018, sans France Ô la part de la représentation des personnes perçues comme résidents en Outre-mer dans les journaux d’information toutes chaînes confondues de la TNT atteint 0,3 %, avec France Ô ce taux monte à 9 % ! ». L’affaire ne sera pas mince pour que le "réflexe Outre-mer", prôné par le pacte, compense la diversité inédite permise par France Ô. 

De France Ô à Outre-mer la 1ère

Dans le communiqué statuant sur la fermeture de France Ô le 23 août, Roselyne Bachelot arguait de la bonne marche du Pacte de visibilité depuis un an. France Télévisions n’aurait pas attendu la fermeture de France Ô pour initier quelques changements : "Un an après cette signature, la ministre de la Culture se félicite que les 25 engagements pris par l’entreprise aient été mis en œuvre, comme le comité de suivi du Pacte a pu le vérifier". 

Le premier engagement consiste à "proposer chaque mois en moyenne au moins un programme ultramarin en première partie de soirée sur France 2, France 3 ou France 5, en veillant à la diversité des genres et à un certain équilibre entre chaînes", les 11 et 13 "d’offrir aux documentaires ultramarins une fenêtre régulière d’exposition sur une antenne nationale" et "[d’]éditer sur franceinfo des modules et contenus quotidiens en prise avec l’actualité des Outre-mer". Dont la diffusion quotidienne des Témoins d’Outre-mer sur France 3, depuis un an, après plusieurs saisons sur France Ô, ou celle, hebdomadaire, de la série Tropiques criminels, tournée en Guadeloupe et diffusée sur France 2. 

Parangon de la redéfinition de l’offre dédiée aux Outre-mer, le portail Outre-mer la 1ère a été lancé au début du mois de juin. En tant qu’entité fédératrice des différents territoires ultramarins, il remplace peu ou prou, mais sous une forme inédite, la chaîne France Ô. France Télévisions le présente comme "un véritable pont entre l’hexagone et les territoires ultramarins". La rhétorique est de circonstance, puisqu’elle répond à l’inquiétude qu’avait fait naître l’annonce de la fin de la chaîne.

Également décliné sous la forme d’une application, Outremer la 1ère, permet à la fois de regarder les JT des neuf déclinaisons locales de la chaîne 1ère et de suivre, 24h/24, un fil d’info en continu ou de se plonger dans des dossiers thématiques et multiformats. Dans son communiqué, Roselyne Bachelot, jugeait les premières audiences de ce nouveau projet "encourageantes".


Photo : sous licence CC, Chetan Menaria via Unsplash


Florent Servia est journaliste pigiste, basé à Paris. Il est membre du collectif Les Incorrigibles.