Comment les journalistes complètent leur budget face à l’inflation

8 juin 2023 dans Pérennité des médias
Une station essence et son prix élevé

La crise de l’inflation touche aujourd’hui différents secteurs d’activités. Celui du journalisme n’est pas épargné. Cette inflation a des répercussions sur les budgets des journalistes qui éprouvent des difficultés à joindre les deux bouts. On observe des salaires qui ne répondent pas aux besoins des journalistes, des baisses de commande d’articles, l’argent des piges qui ne couvre pas toutes les dépenses… "L’inflation est venue comme un coup de K.O qui a plombé beaucoup des journalistes," explique Pancras Zountchegbe, journaliste béninois. Ce qui est une réalité dans plusieurs pays car, selon Elisha Iragi, journaliste basé en République Démocratique du Congo, "l’inflation est venue accentuer la précarité qui était déjà dans les médias," embraye-t-il. 

Pourtant des journalistes couvrent souvent la question de l’inflation. Quand on tape dans le moteur de recherche Google, on trouve beaucoup d’articles qui parlent de cette problématique. Mais peu parlent de la façon dont l’inflation impact la vie des journalistes. 

C’est dans cette perspective que le 115ème Webinaire du jeudi 11 mai 2023, modéré par Kossi Balao, responsable du Forum Pamela Howard de l'ICFJ sur le Reportage des Crises Mondiales et avec comme invitée Sophie Bonnevialle Chesneau, responsable éditoriale d’IJnet en français, a été l’occasion d’un partage d’expériences sur les stratégies auxquelles recourent des journalistes pour gérer cette problématique. 

 

L’argent, une question tabou 

D’entrée de jeu, Sophie Bonnevialle indique que le  journalisme est un métier "passion" où on a déjà du mal à trouver un emploi, des piges, du travail. C’est un métier précaire et les retombées de l’inflation sont souvent tues car "la question d’argent chez les journalistes est un tout petit peu tabou," opine Sophie Bonnevialle. 

Les conséquences de l’inflation sont très inquiétantes pour les journalistes. Par exemple, des freelances sont payés de manière irrégulière avec des retards de paiement fréquents, une baisse significative des tarifs, ou la réduction des commandes d’articles. 

Selon plusieurs journalistes, le salaire qu’on obtient comme pige ou comme permanent dans une rédaction ne parvient pas à couvrir toutes les dépenses : loyer, denrées de première nécessité, et dépenses domestiques augmentent régulièrement. "Et même quand on combine le métier de journaliste, pigiste et directeur de publication,… le revenu ne permet pas à boucler le budget," martèle Alpha Oumar Bagou, journaliste en Guinée et directeur de publication du média universsience.com.   

Mélanger journalisme et communication 

Pour joindre les deux bouts, de nombreux journalistes se retrouvent dans l’obligation de combiner plusieurs métiers à la fois. On retrouve des journalistes qui font de la communication à côté du journalisme. C’est le cas d’Alpha Oumar Bagou, journaliste et chargé de la communication digitale de l’université de Guinée. Il indique que cette activité de communicant lui permet aussi d’identifier certaines personnes ressources pour sa rédaction. 

De nombreux journalistes sont ainsi appréciés pour leurs contacts faciles à mobiliser des gens et vulgariser le travail des organisations et des personnalités. "Des organismes des lois, des organisations des Nations Unies et d’autres organisations cherchent des journalistes pour gérer leur communication car ces derniers ont plusieurs contacts et c’est plus facile pour eux de mobiliser des gens pour leurs activités," indique Laura Louis, journaliste à Haïti. 

D’autres journalistes font des prestation d’impresario pour l’animation d’activités festives et autres cérémonies. D’autres encore vont jusqu’à combiner leur travail de journaliste avec des activités annexes… 

Mais, sans être trop moralisatrice, Sophie Bonnevialle, trouve que mélanger journalisme et communication peut être dangereux. Pour elle, il y a des choses qu’on peut faire et qui peuvent se concilier facilement avec le métier de journaliste surtout en termes d’éthique. "Par exemple, enseigner ou dispenser des formations peuvent constituer des bons leviers pour compléter son budget. En tant que journaliste, on a aussi des capacités qu’on peut proposer à des instituts, à des facultés, à des centres de formation… C’est une possibilité à la fois de compléter son CV (curriculum vitae) et son revenu," conseille-t-elle.        

Internet : une opportunité pour stabiliser son budget 

Postuler à des prix ou des bourses est un autre levier pour des journalistes confrontés à l’inflation. Patient Lukusa, journaliste en République Démocratique du Congo, pense qu’à côté son salaire, le journaliste peut aussi se former pour avoir plus d’expertise dans des tendances actuelles du journalisme (environnement, data journalisme, fact-checking,…) et même proposer des projets pour avoir des financements pour des reportages. 

Dans cette même perspective, Elisha Iragi indique que lui utilise Internet pour stabiliser la situation de l’inflation. "J’envoie constamment des mails à des rédactions qui peuvent être intéressées par des sujets de mon pays. J’identifie les médias, je leur envoie le pitch. Parfois ça marche, souvent ça ne marche pas." 

Faten Hayed, conseille aussi de bien travailler se propre stratégie sur les réseaux sociaux pour avoir une identité numérique, bien référencer ses articles, et gagner en audience afin de vivre de son blog ou de son site Internet. "Il faut rester positif," conseille-t-elle. Sophie Bonnevialle ajoute que des journalistes peuvent aussi prendre des missions de correction des fautes d’orthographe, de prise de parole afin de diversifier leurs sources de revenus.


Photo de Krzysztof Hepner sur Unsplash