Cinq conseils pour préparer une interview difficile sur le COVID-19

23 juil 2020 dans Couvrir le COVID-19
Interview

Toute interview est une lutte constante pour garder le contrôle. Le défi de chacune d’elle est de savoir qui est en possession du ballon. Dans le sport, vous avez un avantage si vous avez le contrôle du ballon durant
50 % du temps. Mais lorsqu’il s’agit d’interview, il faut être en possession 100 % du temps.  

Comment arriver à l’objectif de 100 % ? Comment bien maîtriser une interview ? Julian Sher a donné certaines réponses lors d’un webinaire en français organisé le jeudi 16 juillet par le Forum de Reportage sur la Crise Sanitaire Mondiale, lequel était modéré par son directeur, Kossi Elom Balao. Le thème était "COVID-19 : comment poser les questions difficiles".

Julian Sher est un journaliste d’investigation, lauréat de plusieurs prix, auteur de six livres et formateur accompli. Réalisateur chevronné, il a tourné, écrit et produit de nombreux documentaires. Il est l’auteur de l’enquête télévisée "Nuclear Jihad" pour le New York Times-CBC qui a remporté le prix Alfred I.

 

 

Quel type d’interview menez-vous ?

Lorsque les journalistes veulent mener une interview, ils concentrent leurs recherches sur les faits, les citations et les documents. Julian Sher rappelle que souvent ils oublient la stratégie. Elle est essentielle pour bien poser les questions. La première stratégie, énonce-t-il, est, avant de vous précipiter pour votre interview, de déterminer de quel type d’interview il s’agit. Il indique qu’il y a trois sortes d’interviews.

Julian Sher explique que "certaines interviews sont informatives. Par exemple, celles avec les experts. D’autres se concentrent sur du contenu émotionnel, avec un peu d’information axée autour d’un protagoniste ou d’une victime tandis que les  interviews avec des personnalités au pouvoir consistent à leur faire
prendre leurs responsabilités".

Les meilleures interviews, déclare-t-il, comprennent ces trois éléments dans cet ordre : information, émotion et prise de responsabilité. Avant de démarrer votre interview, planifier le pourcentage de question pour chacune de ces trois catégories. Une fois que vous faites cela, il y a des règles qu'il faut suivre. En quoi consistent-t-elles ?

1. Poser des questions ouvertes 

Le rôle d’un journaliste est de trouver les réponses. Lorsque vous n’avez pas de réponses, "il ne faut pas blâmer votre interlocuteur. Ce sont vos questions qui sont primordiales" conseille-t-il. Selon lui, "vous obtenez les réponses que vous méritez".

Ce qu’il faut faire, préconise-t-il, est de "prendre en main vos responsabilités. Si vous posez des questions stupides, vous obtiendrez des réponses stupides". Il recommande de "poser des questions ouvertes. Ainsi, on oblige les personnes à répondre avec une phrase et une longue réponse".

2. Ne donnez pas d’issues faciles 

Posez une question à la fois. Il ne faut pas utiliser les phrases avec des adjectifs. Evitez de mentionner des faits inutiles. "Ne vous laissez pas distraire et perdre le contrôle du ballon. Votre sujet choisira toujours la question la plus facile", a déclaré Julian. Il suggère que "lorsque vous marquez l’interrogation dans votre voix, arrêtez de parler."

3. Restez basiques, posez des questions simples et claires

"Évitez les tournures lourdes ou polémiques. Poser des questions simples. Une façon de perdre contrôle du ballon est de ne pas poser des questions simples et claires. Nos politiciens sont des professionnels. Ils trouveront des pièges que vous avez mis dans vos questions. Et donc si vous laissez une porte ouverte en posant deux questions ou en ajoutant des mots inutiles, ils vont sauter là-dessus. Evitez de donner une porte de sortie."

4. Le pire est une question qui n’en est pas une

La pire question c'est de faire une déclaration et ne pas poser de questions. Julian Sher estime que le journaliste doit éviter cette erreur lors des interviews et conseille de ne pas entrer dans un débat "même si le politicien est en train de mentir et que le journaliste a les faits et possède la vérité".

Le problème, explique-t-il, réside dans le fait que c'est un duel déséquilibré. Le politicien peut mentir, esquiver et inventer. Il n’est pas obligé de jouer dans les règles de l’art, tandis que le journaliste, lui, est obligé de suivre les règles. Le journaliste doit rester neutre et objectif et éviter de donner son opinion, conseille Julian Sher.

Lorsque vous posez des questions en faisant des déclarations, vous risquez de perdre même si vous êtes plus malins. "Il faut poser des questions qui sont bien ciblées". 

5. Ecouter, écouter, écouter

"Il faut toujours écouter votre interlocuteur. Il faut écouter non seulement les paroles mais aussi le contenu. Il faut bien écouter les mots. Ne vous précipitez pas pour lire vos questions sans écouter le contenu du message de vos interlocuteurs. Prenez note de leurs paroles, appropriez-vous-les." 

Que faire en cas de difficulté ?

"Même en suivant les règles énoncées, vous allez rencontrer des difficultés", prévient Julian Sher. Mais comment s'en sortir ? Il conseille de retourner les coups. "Ne vous laissez pas dominer. Il faut rester concentré et poser littéralement la même question lorsque votre interlocuteur se refuse de vous répondre".

"Soyons honnêtes : les victoires seront peu nombreuses", précise-t-il. "Mais quand une interview se transforme en débat ou dispute, soyez fermes : stoppez net, soyez assertif ou prenez un ton humoristique."


Photo sous licence CC par Austin Distel via Unsplash


Journaliste indépendante, Sara Véronique est passionnée par les nouveaux médias. Outre le numérique, elle s'intéresse à l'économie et aux finances. Diplômée de l'Institut Van Duyse de Formation en Leadership Entrepreneurial (VELI), elle est basée à Lomé, au Togo. Elle est formatrice dans les métiers d'écriture.