Ce projet de reportage environnemental veut soutenir les journalistes racisés

par Hanaa' Tameez
7 avr 2021 dans Diversité et inclusion
Une forêt d'arbres, vue aérienne

La crise climatique est peut-être le sujet le plus important de notre époque, et les médias sont de plus en plus conscients du fait que le changement climatique touche toutes les facettes de la vie.

En 2019, Rosalind Donald écrivait pour la Columbia Journalism Review : "le changement climatique est un sujet économique et un sujet de santé publique ; le réchauffement de la planète façonne les chaînes d'approvisionnement, les ressources en eau, les infrastructures technologiques, le développement (ou le déclin) des communautés, pour ne citer que quelques exemples. Pourtant, la couverture du climat a historiquement été réservée aux rubriques science et environnement, mis à part les temps forts d'actualité pure."

Le changement climatique n'affecte pas tout le monde de la même manière, c'est pourquoi une presse diversifiée et culturellement compétente est essentielle pour couvrir et mettre en œuvre des solutions aux problèmes climatiques.

C'est là qu'intervient The Uproot Project, un réseau par et pour les journalistes environnementaux racisés. L'Uproot Project, de l'anglais "déraciner", se consacre à l'avancement des carrières des journalistes qui ont été historiquement sous-représentés dans le journalisme environnemental et scientifique et qui peuvent offrir de nouvelles perspectives à ce secteur.

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L'Uproot Project est né d'une idée d'Andrew Simon, le directeur des programmes sur le leadership au sein de Grist, média à but non lucratif dédié au climat. Yessenia Funes, membre du comité de pilotage et rédactrice en chef d'Atmos Magazine, raconte que M. Simon a réuni un groupe de journalistes racisés spécialisés dans l'environnement à Seattle en 2019 afin de déterminer s'il existait ou non un besoin et une demande pour une organisation professionnelle qui soutiendrait et accompagnerait les journalistes issus de milieux marginalisés qui couvrent ces sujets.

La réponse à cette question a été un oui retentissant.

D'autres organisations dédiées au journalisme environnemental, comme la Society for Environmental Journalists, la National Association of Science Writers, et Climate Matters, existent. Toutefois, l'Uproot Project est la seule dont la mission principale est de venir en aide aux journalistes issus de communautés sous-représentées dans ce domaine.

Le comité de pilotage d'Uproot Project est composé de Mme Funes, Naveena Sadasivam, Justin Worland, Yvette Cabrera, Paola Rosa-Aquino, et Manola Secaira. Les premiers mois du projet seront consacrés à en faire une structure financièrement indépendante de Grist.

Il s'agira également de comprendre ce dont les membres ont le plus besoin et comment l'Uproot Project peut répondre à leurs attentes. Mme Funes a déclaré que le projet vise à donner des conseils, des outils, des formations, des ateliers et toute autre ressource utile aux journalistes racisés qui couvrent le changement climatique, en particulier ceux en début de carrière et qui tentent de trouver leur place.

"Il y a une injustice à laquelle de nombreuses communautés sont confrontées lorsqu'elles luttent contre la crise climatique, tout comme dans notre secteur. Nous constatons un manque de représentation des voix de personnes racisées dans le domaine environnemental, mais cela se vérifie partout", explique Mme Funes.

"Ceux d'entre nous qui couvrent l'environnement savent que nous sommes très nombreux à être noirs, autochtones ou racisés. Mais ceux qui signent des papiers dans les grands magazines, qui obtiennent les articles en Une sur le changement climatique sont souvent des gars blancs plus âgés."

Mme Funes explique que le manque de reporters et de rédacteurs qui sont en contact avec les communautés vulnérables est flagrant dans les reportages, où les communautés sont exotisées et traitées comme "autres" au lieu d'être vues et décrites comme des personnes "comme les autres". Parfois, elles sont dépeintes comme étant incultes ou mal informées.

Cela se voit en particulier lorsque les membres de la communauté interrogée disent une chose, mais que les représentants officiels cités en disent une autre : seul un des côtés est accepté comme faisant autorité. "Une chose est claire : les récits du journalisme environnemental d'avant nous ont fait du mal", indique la description de l'événement de lancement du projet. "Il est temps de les déraciner et de commencer à semer les graines de nouvelles histoires qui rendent justice à toutes les communautés."

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"Les sujets politiques publiés jusqu'ici laissent très souvent de côté les voix des membres des communautés qui vont ressentir les effets des mesures proposées par le gouvernement fédéral", explique Mme Funes. "Et dans nombre des reportages qui font le lien avec les communautés, elles sont dépeintes comme étant "malheureuses" ou en train de se plaindre, alors que ces sujets pourraient mettre en valeur la force et le travail de ces communautés face à la crise climatique ou tout autre désastre écologique auquel elles sont confrontées. Cela vient d'un manque de compréhension de la part de journalistes ou responsables éditoriaux qui, peut-être, n'ont eux-mêmes aucun lien avec ces communautés."

L'Uproot Project s'inspire de la Ida B. Wells Society for Investigative Reporting, une organisation qui cherche à augmenter le nombre de journalistes d'investigation racisés et les maintenir dans cette voie professionnelle. Le projet a été officiellement lancé en mars lors d'une conférence avec Julian Brave NoiseCat, journaliste et vice-président de Data for Progress, dont le travail se concentre sur les solutions que peuvent offrir les peuples et cultures autochtones aux problèmes du monde les plus urgents. L'événement était gratuit et ouvert à tous les journalistes, quel que soit leur niveau d'expérience ou leur domaine de spécialisation.

"Une partie de ce que nous voulons transmettre est que l'environnement ne doit pas être un sujet à couvrir à part", souligne Mme Funes. "Pour chaque sujet auquel vous pensez, demandez-vous : comment le changement climatique va-t-il l'affecter ? Quels sont les coûts environnementaux associés à ce sujet ? Il y a presque toujours quelque chose à prendre en compte. Nous voulons que les gens soient plus créatifs dans leur couverture de ce sujet, afin de ne pas être que réactifs. Une partie de la raison pour laquelle ces problèmes se posent est que les gens ne les connaissent pas avant qu'ils n'existent."


Cet article a initialement été publié par Nieman Lab. Il a été republié sur IJNet avec leur accord.

Hanaa’ Tameez est rédactrice au Nieman Lab. Elle a travaillé pour WhereBy.Us et le Fort Worth Star-Telegram.

Image principale sous licence CC par Unsplash via John O'Nolan.