Bénin : médias en difficulté, salaires et emplois de journalistes menacés

par Ange BANOUWIN
22 oct 2021 dans Couvrir le COVID-19
Une vue aérienne de Porto-Novo, la capitale du Bénin.

L'avènement de la COVID-19 en 2020 est un coup de grâce pour les médias au Bénin. Depuis lors, des conséquences pèsent de plus en plus sur les médias, déjà menacés par le modèle économique de la presse dans le pays. Télévisions, radios et journaux du privé comme du service public, connaissent des difficultés au Bénin.

Cet après-midi de septembre 2021, la ‘’Maison des médias’’ à Cotonou, épicentre de la vie des médias où siègent nombre d’associations faîtières est déserte. Quelques jets de désinfectant dans son bureau, Evariste Hodonou, président du Conseil national du patronat de la presse et de l’audiovisuel du Bénin (Cnpa-Bénin), relève l’état d’abandon lié au fait qu’il n’y a plus d’activités. "Au Bénin les médias traversent une période tumultueuse et difficile, l’Aide de l’Etat à la presse à partir de 2016 devrait être mutée au Fonds d’appui pour le développement des médias (FADeM), les patrons de presse traînaient ce problème avant que la COVID-19 ne vienne empirer la situation", déplore-t-il. 

Suivant la décision N°21-013/HAAC du 16 mars 2021 de la Haute autorité de l'audiovisuel et de la communication, 72 quotidiens, 8 hebdomadaires et 4 bihebdomadaires ont une existence légale dans le pays, où existent une quinzaine de radios privées commerciales, une trentaine de radios associatives ou communautaires, une dizaine de radios confessionnelles et rurales, et une dizaine de télévisions privées et du service public, et des médias en ligne.

"L’impact économique de la COVID-19 sur les médias au Bénin est totalement négatif. C’est -99%", estime Evariste Hodonou. 

"La COVID-19 a bel et bien des impacts sur les ressources des médias et notre organe de presse en particulier. Elle a affecté drastiquement nos ressources", avoue Jacques Boco, rédacteur en chef du Journal Matin Libre, l'un des médias privés du pays basé à Cotonou.

Journaliste à Radio Planète à Cotonou, Serge Hinnou, note la baisse des entrées, "Les activités sont au ralenti. Et  quand on sait que c'est une radio commerciale, il faudrait qu'il y ait des prestations pour que les gens viennent payer pour la publicité…".

Même situation avec les radios communautaires. "Cela peut paraître insolite, c’est surtout les nécrologies et les manifestations à caractère culturel et cultuel qui nous rapportaient quelque chose. Malheureusement, avec les mesures édictées contre la propagation de la COVID-19, les inhumations n’ont plus l’envergure qu’elles avaient et les événements culturels et cultuels ont pratiquement disparu chez nous", explique Polycarpe Hounsou, directeur de Radio Ahémé de Possotomé. "Nos ressources se sont amenuisées pratiquement de 70%", évalue-t-il.

Les médias du service public ne sont pas épargnés. La COVID-19 a des impacts sur leurs entrées. La vente des journaux a baissé drastiquement et la publicité quelque peu, indiquent nos sources du journal La Nation.

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Au niveau de la presse privée, les causes semblent plus profondes selon l’expert en développement des médias, Gérard Guèdègbé. "Sur le plan économique, c’est d’abord le désastre parce que, cela s’ajoute au modèle économique de prestation, qui est un modèle purement bâtard. Je ne l’appelle même pas modèle économique. C’est un journalisme de survie, où la recette du jour va aider à imprimer le journal du lendemain, sans pour autant garantir le surlendemain, ni même une partie du 30e du mois du journaliste qui sera payé, parce qu’il ne sera jamais payé".

Menaces sur salaires et emplois de journalistes

La COVID-19 a amené les médias béninois à se réinventer, et accélérer la transition numérique. Cependant, les contraintes de la crise en rajoutent aux conditions salariales et d’emploi déjà difficiles des journalistes des médias privés. 

"Suivant les informations qui me sont parvenues, au niveau des confrères, certaines entreprises ont dû prendre d’autres mesures, soit en réduisant le nombre de rédacteurs ou en faisant beaucoup de télétravail", précise le directeur de Radio Ahémé.

La situation que traverse un groupe de presse l’a contraint à résilier le contrat de certains journalistes, et astreint en justice. L’un de ses responsables relève les implications de la COVID-19 sur sa situation délétère depuis 2016.

Dans les grands médias du pays le personnel de base est réduit, certains ont disparu et dans les kiosques les journaux n‘atteignent pas 10, parfois 5, indique le président du Cnpa-Bénin. "Tout le monde s’efforce pour montrer qu’il existe par les supports numériques, mais en réalité ce n’est pas ça", renchérit-il.

Avec ce contexte, les médias privés et leurs employés se retrouvent dans l’engrenage. "Déjà, dans la presse sans Covid-19, la régularité des salaires était un problème existant", fait observer Jacques Boco.

"J'avais beaucoup de confrères qui n'ont pas été payés depuis deux à quatre mois. Parce que la radio ou l'organe de presse dit n'avoir eu beaucoup de revenus. Du coup les gens ne sont pas payés", témoigne Serge Hinnou.

Face aux difficultés économiques qui influencent les emplois, "On dit ici que les publicités sont inexistantes. Et si c’est le cas, il est possible de financer un journal, une radio, une télé avec notre marché... La presse manque de volonté de réflexion. Il faut enlever votre œil de l’appui du gouvernement, ça n’a pas de sens. Ce n’est pas une bonne perspective", soutient Gérard Guèdègbé.

[Lire aussi : Comment réinventer le modèle économique des médias ?]

Dans l’attente d’une bouée de sauvetage 

Outre les outils de prévention et formations bénéficiés des faitières et partenaires, touchés durement par la COVID-19, les médias béninois espèrent des appuis pour juguler leur situation économique agonisante. Le Cnpa-Bénin soutient œuvrer pour l’effectivité du FADeM, et la deuxième phase du ‘’Plan national de riposte socio-économique à la COVID-19’’, lancée par le gouvernement qui entend allouer 19 milliards de FCFA aux entreprises formelles et informelles impactées par le Coronavirus avec l'appui de la Banque Mondiale.

En 2020, peu de candidats se sont manifestés dans le rang des entreprises de presse, "Il y a beaucoup de critères, notamment des pièces administratives. Tu ne vends pas, tu n’as pas d’entrées tu vas faire des formalités pour quel marché ? Avant il fallait s’inscrire en ligne et quand vous n’avez pas les documents ça ne passe pas. On a fait des plaidoyers, et on nous a autorisé à déposer les dossiers même si on n’est pas à jour. Ce qui est un début de solutions", renseigne le président du Cnpa-Bénin.

Les journalistes quant à eux espèrent une attention particulière du gouvernement à leur endroit. "Si l'État pouvait beaucoup plus adresser des subventions et accompagnent vers les hommes des médias eux-mêmes ce serait certainement salutaire. Avec l’Aide de l'État à la presse béninoise, combien de journalistes peuvent dire nous on a reçu telle chose, notre salaire a eu une augmentation ? Les promoteurs diront qu'ils payent l'électricité, ceci et cela... ", se désole un journaliste.

Pour l’expert en développement des médias, "Dans les réflexions que nous faisons sur le monde des médias on occulte des choses qui sont très, très importantes comme le personnel, l’Etat et les acteurs des médias. C’est un petit faux fuyant pour les dirigeants parce que cela leur met une pression supplémentaire. Car il faut pouvoir connaître les aspirations des employés pour pouvoir l’intégrer au plan de développement du média.".  


Ange G. BANOUWIN est journaliste d’investigation, et essayiste. Il a été lauréat du Premier prix du Concours des meilleures productions de la presse, édition 2016 catégorie Presse écrite, et du Deuxième prix du Concours de productions journalistiques sur les Energies renouvelables (EnR), édition 2020, catégorie Presse écrite et en ligne au Bénin. Il est rédacteur en chef du quotidien L'Actualité, un journal, d’informations d’analyses et d’investigations, paraissant à Cotonou.

Photo : Une vue aérienne de Porto-Novo, la capitale du Bénin, par Yanick Folly (sous licence CC, via Unsplash)