Au Bénin, la lutte contre la désinformation à l’épreuve d’un journalisme politique en crise

19 déc 2023 dans Lutte contre la désinformation
Vue aérienne d'un fleuve béninois

L’exercice du journalisme, particulièrement celui politique, est toujours délicat au Bénin ; son positionnement reste un sujet important de réflexion. Cette délicatesse retrouve ses tentacules dans un environnement complexe dans lequel il est difficile d’affirmer que la politique na aucune influence sur la chaîne de production de l’information.

Le traitement de l’information, surtout à caractère politique, dans les médias suscite donc réflexion, et critiques parfois acerbes dans le rang des consommateurs des médias, mais aussi des professionnels au Bénin. Pour François Awoudo, expert médias et auteur, « les consommateurs ont perdu le droit à l’équilibre de l’information ». 

Un environnement multifactoriel de dépendance

Dans un contexte de lutte contre la désinformation, la problématique de l’influence du pouvoir politique vis-à-vis des médias dans lesquels interviennent les journalistes, sur l’information de masse, est encore plus sérieuse. On peut retrouver les rhizomes de cette influence dans plusieurs facteurs.  

Un cordon rigide dès la création

La question de la dépendance des médias vis-à-vis des politiques trouve sa source à l’installation. Selon Joël Tchogbé, sociologue des médias, « vérifier qui sont les patrons de presse permet d’avoir un début de réponse à certaines questions. Il n’est pas caché que beaucoup d’entre eux sont des politiques ».

La preuve, selon une étude à laquelle a participé François Awoudo, « déjà en 2013, une dizaine de médias audiovisuels du Bénin appartenaient à des hommes politiques ». Le lien n’est peut-être pas systématique, mais il est facile d’ouvrir une brèche de possibilité sur le fait que cet état de chose impose aux médias d’information et donc aux journalistes une certaine « prudence dans le traitement de l’information, surtout celle qui touche personnellement au promoteur ou à son obédience politique », conçoit l’auteur de l’ouvrage Le mal transhumant. 

Un attelage institutionnel embrigadant

Le décret n° 2005-252 du 6 mai 2005, modifié à ses articles 8 et 9 par décret n°2022-371 du 6 juillet 2022, et portant approbation des statuts de l’Office de Radiodiffusion et Télévision du Bénin ORTB, dispose en ses articles 21 et 23 que le directeur général, nommé en conseil des ministres sur proposition de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication, veille à la mise en œuvre de la politique d’information du gouvernement. Ces dispositions réglementaires soulignent combien de fois, selon Gérard Guèdègbé, expert média et formateur, « les statuts flous à dessein, tiennent fermement les médias du service public qui souffrent déjà du défaut de catégorisation typologique ». 

En ce qui concerne les médias privés, la nouvelle organisation des partenariats avec les institutions gouvernementales, caractérisée par une certaine centralisation de la communication au niveau de la Direction de la communication de la Présidence de la République, vient accentuer « la crainte de se mettre à dos le pouvoir à travers les productions désavantageuses », dixit François Awoudo. 

Un modèle économique critiquable, des conditions de vie compromises

Le modèle économique des entreprises béninoises de média est essentiellement basé sur la prestation, l’offre des espaces publicitaires. Au Bénin, « la nature étriquée et inorganisée du marché publicitaire ne permet pas aux médias de jouir d’un tel modèle », fait remarquer Joël Tchogbé. De plus, Dr Awoudo souligne que la plupart du temps, pour qu’un média puisse avoir quelques contrats avec des structures gouvernementales ou non, il lui faut présenter des productions qui avantagent la tendance politique au pouvoir. Cette situation enfonce davantage les journalistes déjà très touchés par une situation difficile en matière de rémunération, de sécurité sociale, de protection, dans l’exercice de leur métier de manière professionnelle. 

La désinformation, un « double défi » pour le journalisme politique

Les éléments de contexte non exhaustifs évoqués fortifient l’unanimité sur le fait que la désinformation se retrouve très peu inquiétée. Les risques de désinformation paradoxalement portée par des professionnels de l’information sont permanents. En l’état actuel, le constat le plus partagé, confirme l’expert en sociologie des médias, Joël Tchogbé, est « la profusion de sujets qui relèvent de la communication en lieu et place des sujets d’information d’intérêt général ».

Les titres des « articles laudateurs et apologétiques qui enrichissent les colonnes des journaux et les sites d’information, ainsi que les invectives entre acteurs politiques dont les journalistes se font les porte-flingues à travers leur plume et micro » sont pour François Awoudo, des illustrations de ce constat qu’il s’approprie. Plus encore, le CEO du groupe Siyabonga Gold, Gérard Guèdègbé déplore que « certains journalistes profitent du capital crédit pour faire passer de l’information d’intérêt privé, de la communication, comme une information d’intérêt public ». Une pratique qui n’est pas loin de la désinformation. 

Le journalisme politique qui n’était déjà pas abouti dans le périmètre béninois, selon Joël Tchogbé, se retrouve alors doublement touché puisque s’exerçant sur un terrain glissant : la politique. Un terrain fait de « subjectivité, de manipulation et de recherche d’influence », rappelle M. Guèdègbé. 

Ainsi, les accointances de diverses natures des journalistes politiques avec les acteurs politiques inspirent « la sélection des sujets, les choix délibérés de délaisser des détails essentiels par rapport à un angle, parce qu’ils n’arrangeraient pas, ainsi que le traitement sur mesure des sujets », remarque l’expert électoral François Awoudo. Cela, ajoute-t-il, « laisse la porte ouverte à la propagation de la désinformation ». 

À une ère de désinformation accrue, les médias classiques sont encore pour une part considérable de personnes, le dernier recours en matière d’information juste et crédible à consommer. La désinformation portée par les journalistes, surtout politiques, est d’une résonance préoccupante et aux conséquences à craindre.

 

Photo de Iwaria Inc. sur Unsplash