« C’est vraiment une joie pour nous d’être des pionniers », explique d’entrée de jeu Bernard Yao Adzorgenu, rédacteur en chef d’Afrikia, le tout premier média consacré exclusivement à l’intelligence artificielle en Afrique. « L’IA connaît aujourd’hui un essor dans le monde, mais beaucoup de gens pensent qu’en Afrique, elle n’a pas sa place. Nous, on vient avec la mission de changer les mentalités ».
Le jeune média en ligne souhaite notamment faire des ponts entre l'innovation technologique au niveau mondial et la réalité en Afrique. Pour cela, il propose chaque jour en français différents contenus, allant d’articles, en passant par des interviews ou encore des portraits.
Afrikia veut ainsi devenir un espace de discussion, de partage et de réflexion sur les grands enjeux liés à l’IA, mais aussi montrer que cette nouvelle technologie peut apporter du bien au continent. « On veut montrer aux gens comment, par exemple, l'IA peut booster des domaines où l’Afrique rencontre de nombreux défis, comme l’accès aux technologies, la santé, l’agriculture ou encore l’éducation », explique Bernard Yao Adzorgenu.
Soutenu par le Media and Digital Institute (MDI), un organisme qui appuie les médias numériques en Afrique, Afrikia entend s’appuyer sur un réseau de correspondants d’un peu partout sur le continent. Pour l’instant, il dispose de collaborateurs en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, au Togo ou encore au Sénégal et souhaite s’élargir à mesure qu’il se fera connaître.
« L’objectif, c’est vraiment de pouvoir décentraliser le média dans pratiquement tous les pays d’Afrique. On est encore nouveau, ça va prendre du temps, mais on doit se lancer. On ne peut pas attendre d’avoir 54 correspondants partout sur le continent », explique Bernard Yao Adzorgenu, qui ajoute fièrement que sa rédaction est composée de jeunes journalistes qui maîtrisent parfaitement le sujet de l’IA et ses problématiques.
Des défis
Dans un contexte de crise des médias, lancer un nouveau projet vient évidemment avec son lot de défis, notamment sur le plan économique. Bernard Yao Adzorgenu reconnaît qu’il est encore difficile pour Afrikia d’attirer des partenaires. « Les technologies chez nous ne sont pas avancées, ce qui fait que les investissements importants dans les infrastructures numériques n'abondent pas. Il y a encore des défis liés à internet ou à des appareils modernes qui mettent au défi l’adoption de l’IA dans les pratiques quotidiennes ».
Pour Mamadou Ndiaye, enseignant-chercheur en sciences de l’information et communication à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, au Sénégal, le défi du financement reste le plus gros problème auquel sont confrontés aujourd’hui les médias en Afrique.
« L’aspect qui mine actuellement le journalisme en Afrique, c'est la précarité économique », juge celui qui est aussi directeur des études à l’école de formation en journalisme CESTI de Dakar. « Beaucoup de groupes de presse n'ont pas un modèle économique viable et se mettent globalement à faire du colmatage à longueur de journée pour pouvoir survivre, parce que la publicité ne permet pas de prendre en charge les frais relatifs à la production de l’information ».
Un défi économique qui est souvent amplifié par le contrôle qu’exercent les autorités sur les médias et les journalistes en Afrique. « Il y a des problèmes politiques qui font que, pour restreindre la dynamique des groupes de presse, les États mettent souvent en place des mécanismes économiques qui les étouffent, avec des taxes ou parfois des aides qui leur étaient allouées et qui ne sont pas distribuées », relate Mamadou Ndiaye. « Tous ces éléments-là font qu'in fine, les groupes de presse ne font plus d'investigation ou ne travaillent plus sur des questions sérieuses ou d'utilité publique ».
IA et désinformation
Une situation médiatique et politique qui laisse la porte grande ouverte à la désinformation, bien souvent accentuée par l’IA. Tantôt orchestrée par la Russie, tantôt en provenance du continent africain, la désinformation aurait joué un rôle central ces dernières années en Afrique dans des campagnes politiques, des conflits et des putschs ou encore lors de crises de santé publique.
« Toute cette situation laisse place à cette armée qui est sur Internet et qui, pour des raisons politiques parfois, se met à distiller, à diffuser des informations qui, comme on le définit par rapport à la propagande, ne servent qu'un camp. Et parfois, on n'a même pas les moyens de vérifier », explique Mamadou Ndiaye.
De plus, l’utilisation des réseaux sociaux pour s’informer favoriserait aussi la désinformation en Afrique, selon une étude de l’entreprise australienne KnowBe4 réalisée l’an dernier. Conscient qu’il y a un réel travail d’éducation à faire, Afrikia souhaite aussi faire sa part. « On vient aussi avec l'idée de répondre à ces défis-là et de sensibiliser nos lecteurs en promouvant des initiatives éducatives pour que davantage d'Africains soient sensibilisés à cette révolution technologique et à ses possibles dangers », explique Bernard Yao Adzorgenu. Le nouveau média espère maintenant gagner en visibilité et prochainement lancer un magazine trimestriel.
Photo de Gertrūda Valasevičiūtė sur Unsplash