Vers la fin de la presse quotidienne régionale dans les Outre-mer français ?

Oct 9, 2024 en Infos locales
La Réunion

Le constat est sans appel, la situation de la presse quotidienne régionale dans les Outre-mer français ne cesse de se dégrader. Des Antilles à l’océan Indien, en passant par le Pacifique, la succession de crises a eu raison de plusieurs titres ces dernières années. Dernier exemple en date, la disparition du Journal de l’île de La Réunion (JIR) cet été. 

Placé auparavant en redressement judiciaire, le journal historique de l’île intense n’a finalement pas survécu, mettant au chômage ses 80 employés. "Ce n'était pas une surprise, car le journal était en difficulté financière depuis plusieurs années, mais ça reste un sentiment de gâchis. Nous avions encore beaucoup à offrir aux lecteurs," se désole Emilie Chatelet, ancienne rédactrice en chef de Clicanoo.re, le site internet du journal.   

À La Réunion, il ne reste désormais plus qu’un seul journal papier, Le Quotidien, qui a lui aussi connu son lot de difficultés. Placé en liquidation judiciaire en 2023, il a finalement été racheté in extremis cette année. "Dans beaucoup de régions françaises, il ne reste plus qu’un journal, mais le JIR apportait un autre regard, la ligne éditoriale était assez forte, elle dénonçait beaucoup. Beaucoup de lecteurs et d’internautes m'ont fait part d'un vide," explique Emilie Chatelet.

La Réunion n’est qu’un exemple parmi toutes les Outre-mer qui font face à une situation similaire. Il n’y a par exemple plus de quotidiens papier en Guyane et à Mayotte, alors que la Dépêche de Tahiti a disparu cette année et que le groupe propriétaire des Nouvelles Calédoniennes est en liquidation judiciaire. "La situation est la même que dans l'Hexagone, mais de manière exacerbée. Il y a de plus en plus d'endroits où il n’y a quasiment plus de presse quotidienne papier," déplore Didier Givodan, représentant du Syndicat national des journalistes (SNJ). 

En plus d’un risque de manque de pluralisme, s’ajoute aussi celui du rachat de certains titres par des grands groupes économiques. "Le risque, c’est de tomber dans des titres qui seraient adossés à des groupes, qui ne sont pas toujours désintéressés comme ils le prétendent. Dans un monde clos, ça peut avoir des effets dévastateurs," met en garde Didier Givodan, qui aimerait bien voir un modèle sans publicités se développer dans les Outre-mer, à l’image de Médiapart

Une succession de crises

Plusieurs causes expliquent la situation actuelle dans les Outre-mer. La hausse du coût des matières premières pour ces territoires éloignés a une grande part de responsabilité. "La reprise économique de la pandémie et la guerre en Ukraine ont créé une grosse tension sur le prix des matières premières des journaux, comme le papier (passé de 400 euros à 800 euros la tonne en deux ans), la distribution ou encore les encres," explique Pierre Petillault, directeur général de l’Alliance de la presse d’information générale.

À cela s’ajoute la baisse du lectorat avec une concurrence de plus en plus forte des plateformes numériques, comme les plateformes de France Télévisions en Outre-mer, qui offrent une information de qualité gratuitement. Moins de médias veut aussi dire moins de journalistes. En quatre ans (de 2020 à 2023), il y a eu une baisse de 35 % du nombre de cartes pour la presse écrite en Outre-mer délivrées par la commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP). "Cet indicateur est sans appel. La dégradation est assez générale. Tous les voyants sont au rouge et le pluralisme y perd," explique Didier Givodan, qui a réalisé une émission sur la question pour Outre-mer la 1ère, où il travaille également. 

Face à la crise, les acteurs appellent à l’aide. Plusieurs types d’aides pour la presse existent en France, mais ces mesures sont jugées insuffisantes ou mal adaptées pour les Outre-mer. "On est très inquiet, on alerte les autorités, mais de façon générale, on a beaucoup de mal à être entendu ou reçu," déplore Pierre Petillault. 

De plus, le gouvernement français, qui auparavant diffusait des campagnes gouvernementales dans les journaux, ce qui apportait une forme d’aide financière, les diffuse maintenant sur les réseaux sociaux. "Il n’y a eu aucune campagne (gouvernementale) en Outre-mer l’an dernier. Il serait bien que l’État s’y intéresse et actionne ce levier."

Essayer de survivre 

"C’est un petit exploit de tenir un titre de presse dans nos départements," dit d’entrée de jeu Béatrice Cléon, directrice générale de France Antilles. Après des années de grandes difficultés économiques, le quotidien martiniquais a été placé en liquidation judiciaire en 2020. Il a finalement été racheté et sauvé in extremis par un nouvel actionnaire, Xavier Niel, le fondateur de Free. 

"On pourrait penser que la Martinique est épargnée par la crise, car nous sommes le département avec la population la plus âgée, mais c’est loin d’être le cas. On subit de plein fouet l'érosion de la diffusion et les revenus publicitaires ne suffisent pas à maintenir un modèle à l’équilibre." Même si l’actionnaire permet de faire fonctionner le journal, la pérennisation de l’activité reste toujours un enjeu. "C’est impossible de rester sur le chemin traditionnel, on est tout le temps obligé de se réinventer et de réfléchir. On a ouvert une boutique en ligne et on réfléchit à ouvrir des billetteries. Bref, on est sur tous les fronts," dit-elle à la blague. 

France Antilles travaille aussi sur des éditions spéciales de ses journaux consacrées à une thématique. La directrice générale affirme que dès qu’elle propose un nouveau produit sur le marché, les revenus de la diffusion se portent mieux. Face à l’avenir incertain, Béatrice Cléon veut rester positive mais surtout sensibiliser sur la réalité dans les régions ultramarines. "La presse est encore plus indispensable à maintenir ici, car les Outre-mer sont des poudrières. Il ne faut pas laisser la place aux réseaux sociaux qui pourraient engendrer beaucoup de dégâts s’il n’y a pas d’information vérifiée qui permettent de tempérer sur ce qui se passe."

 


 

Photo de Xav Alexandre sur Unsplash