Conseils d'un journaliste d'investigation pour protéger vos sources

Oct 8, 2021 en Couvrir le COVID-19
Deux personnes parlent à une table

Pourquoi la surveillance numérique est de plus en plus inquiétante ? Quelle est l’ampleur du phénomène aujourd’hui ? Quelles mesures le journaliste peut-il prendre pour mieux se protéger et donc protéger ses sources ? Est-il prudent d’utiliser la connexion Internet (Wifi) des aéroports ? Ces questions, et bien d’autres, ont été évoquées, le 1er octobre, lors du 62e webinaire du Forum francophone du Centre International pour les journalistes (ICFJ).

L’expert du jour était Moussa Askar, journaliste d’investigation, directeur de publication du journal l’Evénement qu’il dirige depuis 20 ans à Niamey au Niger. Il est par ailleurs, Président de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l'Ouest (CENOZO), membre du Consortium des journalistes d’investigation, entre autres. Le webinaire a été animé par Kossi Balao, journaliste et directeur du Forum de reportage sur la crise sanitaire mondiale. Le thème : "Conseils pour protéger vos sources journalistiques."

Voici les éléments-clefs à retenir.  

 

 

Première chose, ne pas révéler ses sources

La source d’information reste un acteur incontournable pour le journaliste d’investigation. Elle peut être documentaire ou médiatique, dans certains cas. Souvent aussi, il s’agit d’un personnage-clef dans la démarche pour l’accès à l’information, la bonne, nécessaire dans le travail du journaliste. C’est alors l’informateur indispensable. 

Tout comme l’on ne devient pas journaliste d’investigation du jour au lendemain, la source ne s’acquiert pas d’un tour de bras. "Il faut commencer par des petites enquêtes sur la corruption dans son pays petit à petit", conseille Moussa Askar, pour se faire connaître.

Ce sont ces petites enquêtes qui donnent au journaliste de la visibilité auprès des autres confrères et surtout des informateurs qui désormais, sur la base de la confiance, peuvent encore fournir des renseignements pour d’autres histoires aussi délicates que complexes, la confiance arrive lorsque l’informateur se rend compte que le travail a été réalisé sans que son identité soit révélée. 

Il se sent en sécurité et peut à chaque fois qu’il a une histoire, revenir vers le rédacteur pour l’approvisionner. Pour M. Aksar, les sources sont des citoyens qui souhaitent voir les choses changer, par opposition aux prédateurs qui veulent voir leurs intérêts protégés. 

Les journalistes d’investigation sont donc les bienvenus auprès de ces citoyens. Sauf que ceux qui font de l’investigation n’ont pas la paix ; régulièrement surveillés voire traqués par les prédateurs (auteurs des malversations) et parfois par d'autres confrères. 

Moussa Aksar de s’étonner même de ce qu’alors que sous d’autres cieux les articles des journalistes sont utilisés par la justice pour ouvrir des enquêtes, en Afrique, le journaliste est poursuivi parce qu’il a révélé des faits réels. Selon l’expert : "On ne peut pas stopper la surveillance des journalistes. Dans les régimes où l’on ne se reproche rien, ils ne sont pas surveillés. Quand les gens se reprochent certaines choses et où la démocratie est en mal ou qu’elle est en train de se construire, les journalistes sont surveillés."

La surveillance du journaliste d’investigation va aussi consister à l’obliger à révéler ses sources d’information. Ce que Moussa Aksar conseille de ne pas faire. Il suggère quelques mesures.

Intégrer des réseaux internationaux de journalistes d’investigation pour se protéger

La protection du journaliste et de sa source est le premier amendement de certaines constitutions, notamment dans les grandes démocraties. Seulement, regrette Moussa Aksar, ce n’est pas le cas en Afrique de l’Ouest, surtout "depuis que certains prédateurs dirigent les pays". "Dans les pays d’Afrique de l’Ouest, il y a une perte de valeur, aujourd’hui, c’est le plus corrompu qui est respecté. Les journalistes doivent se tenir la main… ", souhaite-t-il. 

Le journaliste d’investigation joue et doit jouer un rôle très important dans la lutte contre la pauvreté à travers la lutte contre la corruption par la dénonciation des malversations.

Il faut développer des astuces pour sa sécurité. La sécurisation de sa personne, de ses sources et de son matériel de travail. Pour s’éloigner des ceux qui le surveillent, Moussa Aksar suggère au journaliste d’intégrer des réseaux internationaux de journalistes pour interagir avec des pairs de chez soi et d’ailleurs. 

L’appartenance à des réseaux de journalistes d’investigation lui a permis, confie-t-il, de révéler de nombreux scandales sur la corruption en Afrique et dans le monde. L’un des plus relayés étant celui du Panama Papers. Une des spécificités desdits réseaux étant qu’ils facilitent le travail sur des sujets traités de manière transfrontalière et de produire des histoires de façon groupée sur un même sujet au même moment.

Il vaut mieux se sacrifier que révéler sa source

Le panéliste persiste et signe : "Le journaliste ne doit révéler sa source à personne !. Même à un membre intime de sa famille (époux ou épouse). Mieux vaut se sacrifier que de révéler ses sources. Il est mortel pour un journaliste de divulguer ses sources", insiste Moussa Aksar. Toutefois, reconnaît-il, dans une enquête menée en groupe, cela peut être possible entre des collègues travaillant sur le même sujet.

Le journaliste d’investigation rappelle que protéger ses sources permet de gagner la confiance de ses informateurs.rices. Moussa Aksar conseille de ne rester proche de sa source que pendant l’enquête de peur de susciter des soupçons.

Eviter la connexion Internet des aéroports et autres lieux publics pour sécuriser son matériel de travail

Quant au matériel de travail, l’expert proscrit l’utilisation des connexions Internet des aéroports et des autres lieux publics qui sont une voie possible de surveillance du journaliste. Il suggère aussi d’installer des logiciels numériques pour protéger ses messages et ses informations.


Photo : Linkedin Sales solutions, via Unsplash, sous licence CC