Paroles d'experts : pourquoi l'Afrique n’a pas son propre vaccin ?

Jun 18, 2021 en Couvrir le COVID-19
Des éléments pour la vaccination : seringue et vaccin anti-COVID

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Depuis l’apparition de la pandémie de COVID-19, plusieurs pays, dès janvier 2020, ont mis au point des recherches en vue de développer un vaccin.

Au niveau mondial, il y a déjà près de 16 vaccins qui sont en cours d’utilisation parmi lesquels six sont sur la liste "EUL" de l’OMS. Il s’agit du Pfizer (USA-Allemagne), Moderna (USA), Sinovac (Chine), Oxford/Astra Zeneca (Suède-Angleterre), SinoPharm (Chine) et Johnson&Johnson (USA-Belgique). 

En Afrique, malgré la forte augmentation des cas de contamination liés à la maladie dans près de 47 pays du continent, les recherches vaccinales sont encore à la peine. C’est autour de ce sujet qu’a eu lieu le 48e webinaire organisé le jeudi 10 juin par le Forum de Reportage sur la Crise Sanitaire Mondiale

 

 

Comme d’habitude, c’est le directeur du forum, Kossi Balao, qui a modéré ce webinaire animé par le Dr Lassané Kaboré, chargé de programme senior au sein de l’ONG International PATH, pour le Center for Vaccine Innovation and ACCES (CVIA). 

En date du 9 juin 2021, le nombre des cas de contamination enregistrés sur le continent africain s’élevait à 3 546 431 personnes. Depuis le début de la pandémie, plus de 88 446 décès ont été enregistrés et plus de 3 225 014 personnes sont guéries.

Cependant, avance le Dr Kaboré, parmi les 47 pays du continent qui sont touchés par la maladie, seulement quatre, à savoir l’Afrique du Sud, le Kenya, l’Egypte et le Maroc disposent des sites de recrutement pour les essais de vaccin. Mais dans l’ensemble aucun pays Africain n’a encore mis sur pied des recherches vaccinales contre le COVID-19. 

Les raisons pouvant l’expliquer résident dans plusieurs facteurs, selon le Dr Kaboré. 

Parmi eux, il a pris en exemple les Prix Nobel de médecine et de physiologie allant de la période de 1901 à 2020. En l’espace de plus d’un siècle, seulement trois chercheurs venus d'Afrique (d'Afrique du Sud), ont été honorés pour leurs travaux. Selon lui, c’est l’un des critères montrant "la non-influence de l’Afrique dans la recherche biomédicale". 

Un autre critère avancé par le spécialiste, est l’absence de l’Afrique dans la liste de classement des 10 premiers pays en termes de contribution aux publications scientifiques dans des revues qui sont suivies par le Nature Index. 

Par ailleurs, il soulève aussi le fait qu’il y ait très peu d’université africaines qui soient dans les classements internationaux des meilleures institutions de recherche en matière de biotechnologie.

Seulement sept universités africaines occupent des places comprises entre les 301 et 500 du classement des meilleures universités au monde. Parmi les sept, 3 d’entre elles sont des universités égyptiennes, et les 4 autres sont situées en Afrique du Sud.

Manque d’investissement dans la recherche 

"L’Afrique représente 15 % de la population mondiale et supporte 25 % de la charge globale de morbidité. Pourtant, face à ces grands défis, elle ne concentre que 2 % des résultats de la recherche et seulement 1 % de capacité mondiale", rapporte un document Think Tank Wathi. Selon le Dr Kaboré, la considération de ces données explique parfaitement l’absence de l’Afrique dans la mise au point de vaccins. 

Malgré la recommandation faite par l’Union Africaine (UA) aux pays africains d’allouer 1 % de leur PIB national à la recherche scientifique, ils sont très peu à s'approcher de cet objectif. Mais se détachent le Kenya : 0,8 %, l’Afrique du Sud : 0,75 %, l’Egypte : 0.6 %. 

Par ailleurs, plusieurs déterminants peuvent être considérés comme des blocages au développement de la recherche biomédicale en Afrique. Parmi ceux-ci, il y a entre autres l’insuffisance qualificative et quantitative en ressources humaines, l’insuffisance de financement, de matériels et d’équipement et enfin un management inapproprié. 

Perspectives 

Selon le Dr Lassané Kaboré , les pandémies sont loin d’être en voie de disparition. Et comme tous les autres qui se préparent continuellement face à d’éventuelles pandémies, l’Afrique également anticiper. C’est pourquoi pense-t-il qu’il est nécessaire que les pays africains mutualisent des moyens en vue d’investir conséquemment dans la recherche fondamentale et appliquée.

Car "investir dans la recherche est très stratégique pour la survie et le développement de nos nations", croit-il. De plus, les pays devraient penser à mettre en place des pôles régionaux en tenant compte des centres de recherches déjà existants, des espaces communautaires et des priorités de santé publique. 


Dougenie Michelle Archille est juriste et journaliste à Enquet'Action, média d'enquête indépendant basé à Port-au-Prince. Elle a mené plusieurs enquêtes sur des sujets de société. Elle a également été primée lors du concours de reportage sur la crise sanitaire mondiale de l'ICFJ, Covering COVID.