Les femmes journalistes au Maghreb jouent un rôle essentiel dans la production de l’information, la sensibilisation du public et la transformation des médias. Cependant, elles font face à de nombreux défis qui entravent leur progression et limitent leur impact. Si les rédactions comptent de plus en plus de femmes, leur accès aux postes de responsabilité reste limité, et elles subissent des discriminations systémiques, des pressions sociales et, dans certains cas, des menaces directes.
Une présence féminine croissante dans les rédactions
D'après Nassima Oulebsir, journaliste au quotidien national El Watan, la distinction entre hommes et femmes dans les rédactions algériennes est de moins en moins marquée. Elle affirme que "le journalisme est une vocation” et qu'il n'existe pas de différences fondamentales dans l'exercice du métier entre les hommes et les femmes.
Cette perception est appuyée par des chiffres montrant une présence féminine significative dans les médias algériens. Par exemple, les femmes représentent 52 % de l’effectif de l’audiovisuel public contre 38 % dans le secteur privé. Elles occupent 40 % des postes dans la presse écrite et 38 % dans la presse électronique
En Tunisie, Hanene Zbiss, journaliste d’investigation et présidente de la section tunisienne de l'Union de la Presse Francophone, souligne également la forte présence des femmes dans le secteur, mais regrette que peu d'entre elles accèdent à des postes de direction. "Bien que 60 % des journalistes soient des femmes, elles sont rarement promues à des fonctions de direction, et très peu d'entre elles lancent leurs propres médias," observe-t-elle.
Au Maroc, les femmes constituent environ 30 % des professionnels des médias. Cette proportion varie selon le secteur : 25,5 % dans l’audiovisuel, 18,4 % dans la presse électronique, 15,3 % dans les supports écrits et seulement 5,59 % dans les agences de presse.
Un plafond de verre persistant
Malgré leur nombre croissant, les femmes journalistes doivent affronter un plafond de verre qui ralentit leur ascension professionnelle. Mme Oulebsir note que, bien que les salaires soient égaux entre hommes et femmes dans les rédactions algériennes, les contraintes sociales poussent souvent les femmes à ralentir leur carrière pour concilier travail et vie familiale. "Elles essaient toujours d'équilibrer leur vie privée et professionnelle, ce qui peut les amener à mettre leur carrière en pause ou à refuser certaines opportunités," explique-t-elle.
Au Maroc, bien que les femmes représentent une part significative des étudiants en journalisme, elles restent sous-représentées dans les postes de responsabilité au sein des médias.
En Algérie, seulement une femme a occupé un poste de directrice à l'Établissement public de télévision (EPTV), et elles représentent 33 % des cadres intermédiaires.
En Tunisie, la situation s'est aggravée depuis le coup de force du président Kais Saied en juillet 2021, qui a conduit à une crise politique et économique affectant le secteur des médias. Mme Zbiss souligne que "les femmes journalistes sont les premières à être licenciées en cas de difficultés économiques et acceptent souvent des salaires plus bas que leurs homologues masculins." De plus, un retour du conservatisme dans la société a limité leur accès à l'espace public et réduit les opportunités pour celles qui souhaitent innover ou lancer leurs propres entreprises médiatiques.
Violences et pressions : un métier à risque
Les femmes journalistes au Maghreb sont particulièrement exposées aux violences en ligne et aux menaces physiques. Mme Zbiss souligne que la rétrécissement de l’espace donné à la liberté d'expression en Tunisie s'accompagne d'une recrudescence du harcèlement sur les réseaux sociaux. "En tant que femmes, nous subissons plus d'attaques personnelles et d'atteintes à notre vie privée que nos collègues masculins,” affirme-t-elle.
Au Maroc, une majorité de femmes journalistes déclarent avoir été victimes de harcèlement sexuel ou de pressions au travail, un phénomène qui reste souvent sous-déclaré.
Vers une meilleure représentation des femmes dans les médias
Face à ces difficultés, plusieurs initiatives visent à améliorer la représentation des femmes dans les médias. Mme Oulebsir insiste sur l'importance de mettre en avant les contributions féminines sans tomber dans des stéréotypes. "Il faut valoriser les initiatives des femmes sans les distinguer excessivement des hommes. Pourquoi, par exemple, faudrait-il toujours réaliser un reportage sur une femme pilote uniquement à l'occasion du 8 mars ?"
De son côté, Mme Zbiss et l'Union de la Presse Francophone en Tunisie travaillent à renforcer les capacités des femmes journalistes par le biais de formations et d'accompagnements personnalisés. "Nous aidons les jeunes journalistes à publier, à intégrer le marché du travail et à se développer dans un environnement difficile," explique-t-elle.
Au Maroc, une étude menée par l'Union de la Presse Francophone (UPF) a permis à près de 300 femmes journalistes de s'exprimer sur leurs parcours et les défis rencontrés, contribuant ainsi à enrichir les débats sur des questions relatives à l’exercice du métier et aux conditions de travail au prisme du genre.
Conseils aux futures journalistes
Pour les jeunes femmes qui souhaitent embrasser une carrière dans le journalisme, les conseils des professionnelles sont unanimes : persévérance, passion et professionnalisme. Mme Oulebsir les encourage à "réaliser leurs rêves," à être crédibles et professionnelles. "Dans une rédaction, il y a des journalistes, pas des hommes ou des femmes," affirme-t-elle.
Mme Zbiss, quant à elle, conseille aux jeunes journalistes d'être flexibles et de ne pas se limiter aux schémas traditionnels d'emploi. "Il faut s'ouvrir au monde, travailler en freelance si nécessaire et chercher à innover et à lancer sa propre entreprise médiatique, malgré un contexte très difficile," recommande-t-elle.
Ainsi, les femmes dans les médias au Maghreb ont su conquérir un espace significatif dans les rédactions et la production journalistique, mais elles restent confrontées à des défis majeurs. Grâce à leur résilience et aux initiatives en faveur d'une meilleure représentation, elles continuent à jouer un rôle crucial dans le paysage médiatique maghrébin. L’avenir de la presse dans la région ne pourra se faire sans elles.
Photo de Sanket Mishra via Pexels