Ac2ality : le compte TikTok d’information en espagnol qui ne laisse personne indifférent

Aug 1, 2024 in Journalisme digital
Des jeunes sur leur téléphone

"La première vague de chaleur de l’été déferlera sur l’Espagne," annonce Maria Murillo, alias @merymurilloo, dans une vidéo sur le compte TikTok @ac2ality. "Jusqu’à 44 degrés sont attendus," poursuit la jeune femme face caméra, avant de disparaître pour laisser place à des infographies qui se succèdent rapidement. Cette vidéo de moins d’une minute pour résumer l’arrivée de la première canicule espagnole a été vue plus de 100 000 fois.

Chaque jour, ce compte TikTok publie plusieurs vidéos courtes en espagnol en lien avec l’actualité. Lancé juste avant la pandémie, c’est désormais le compte TikTok d’information en espagnol le plus suivi d’Europe et l’un des dix comptes européens les plus populaires, toutes langues confondues, selon un dernier classement

Partout dans le monde, la plateforme ne cesse de s’imposer ces dernières années, notamment chez les plus jeunes, en offrant différents contenus, entre information et divertissement. Le dernier rapport annuel de Reuters estime d’ailleurs que la proportion de ceux qui utilisent TikTok pour l’actualité a atteint 13% (+2% par rapport à l’année d’avant) et est de 23% chez les 18-24 ans. Chez Ac2ality on mise beaucoup sur cette tranche d’âge là (18-24 ans), qui représenterait environ 70 % des consommateurs de ses contenus d’informations nouvelle génération. 

Daniela Alvarez, l’une des cofondatrices, explique que l’idée lui est venue lorsqu’elle devait lire de nombreux journaux chaque jour lors d’un stage qu’elle effectuait aux Nations unies. « Je n’arrivais pas à bien comprendre les informations. Il manquait du contexte et les explications n’étaient pas claires ». Avec Ac2ality, le but est de vulgariser l’information pour les plus jeunes et de la transformer en « divertissement », ce qui ne laisse personne indifférent, de ses cinq millions d’abonnés sur TikTok à la profession de journalisme. 

Des critiques persistantes

Chaque succès suscite la critique, c’est bien connu. Ac2ality n’y échappe pas depuis plusieurs années. D’abord, car aucune des quatre fondatrices ne détient un diplôme en journalisme, ce qui soulève des questions sur la qualité du contenu et la vérification des informations diffusées. Comme en 2022, lorsque le compte a repris sans vérifications les informations d’un journaliste sportif parlant de 17 morts lors d’émeutes entre supporters de football au Mexique. Une information qui s’est par la suite avérée fausse, il n’y avait aucun mort. 

Le dernier rapport annuel de Reuters note d’ailleurs que « compte tenu de son utilisation croissante pour des informations, et de sa tranche d’âge beaucoup plus jeune, il est inquiétant de constater que plus d’un quart des utilisateurs de TikTok (27%) déclarent avoir du mal à détecter des informations fiables ».

À cela s’ajoutent aussi des critiques sur l’originalité du contenu d’Ac2ality. Les fondatrices le reconnaissent elles-mêmes, elles consultent les grands journaux et médias chaque jour pour voir ce qui se passe dans le monde et ensuite décider de ce qui intéresse leur public, en reproduisant le contenu sur leur plateforme. Une sorte de traduction des journaux qui passe mal auprès des journalistes, qui les accusent régulièrement de plagiat. D'ailleurs, lorsque le grand quotidien espagnol El País leur consacre un portrait en 2023, les réactions négatives s’enchaînent, à tel point que l’une des rédactrices en chef du journal doit se justifier publiquement sur le choix de faire ce reportage. 

Enfin, dernière critique, qui n’est pas des moindres, celle de la publicité déguisée dans des vidéos partagées sur le compte TikTok, il y a quelques années. De plus en plus de comptes font de la publicité ou des placements de produits pour monétiser leur activité, alors que la plateforme chinoise paierait en moyenne de 2 à 4 centimes par millier de vues. Mais ce qui pose problème chez Ac2ality c’est que cela n’a pas toujours identifié comme tel. Les fondatrices ont expliqué dans le passé avoir peur de perdre des vues, l'algorithme punissant, selon elles, les comptes qui utilisent un hashtag indiquant une publicité. Daniela Alvarez assure que depuis cela est toujours indiqué comme tel. 

Des médias traditionnels jaloux ?

La plateforme chinoise TikTok, régulièrement sous le feu des critiques pour des supposées tentatives d’espionnage, s’avère pourtant être une occasion rêvée pour les médias traditionnels d’aller chercher un nouveau public, plus jeune, tout en améliorant la notoriété de leur marque. Et ils l’ont bien compris. De nombreux médias espagnols ont développé leur compte au cours des dernières années. « Nous avons beaucoup de critiques de grands médias, mais ce qui est drôle, c’est qu'ils ont maintenant tous changé leur format et font la même chose que nous », dit en souriant Daniela Alvarez.

Un avis partagé par David Varona, professeur en journalisme à l'université Complutense de Madrid. « J’ai l’impression que l’on concentre toujours les attaques sur la nouvelle plateforme ou sur le compte populaire du moment qui est immédiatement considéré comme un danger. Dans la réalité, les critiques contre Ac2ality pourraient être dirigées contre n’importe quel autre réseau social ou média ».

Le professeur ajoute aussi qu’on ne peut pas reprocher aux jeunes de ne pas s’informer tout en leur reprochant de suivre des comptes TikTok d’information. Ac2ality répond à une vraie demande des jeunes, qui cherchent un ton différent, selon lui. « Les jeunes veulent s’informer, mais sans y passer trop de temps et avec un langage qui n’est pas celui des adultes, qu’on retrouve dans les médias traditionnels. Ils ont grandi avec un ton différent, construit sur les médias sociaux ou en suivant des streamers de jeux vidéo ». 

Pour sans doute se refaire une image et améliorer sa crédibilité face aux critiques, une partie d’Ac2ality a récemment été rachetée par Atresmedia, un grand groupe médiatique espagnol. Avec plus de 1400 millions de vues enregistrées l’an dernier, Ac2ality est loin d’avoir fini de faire parler de lui.

 


Photo de Creative Christians sur Unsplash