À l’est de la RDC, des femmes journalistes victimes de violences

Jan 21, 2022 in Sécurité physique et numérique
Une femme tape à l'ordinateur

Le conflit armé qui sévit à l’est de la RDC depuis deux décennies freine le développement socio-économique des civils. Dans ce contexte de guerre, le métier de journaliste reste difficile à exercer. Chaque année, des journalistes sont tués, menacés ou kidnappés par des personnes inconnues, parfois par des miliciens armés.

Pour les femmes journalistes, la situation est particulièrement grave. Depuis 2021, 23 cas portant sur des agressions et des menaces ont été enregistrés contre des femmes journalistes, pendant qu’elles exerçaient en villes de Butembo et Beni ainsi qu’en territoire de Beni Lubero, renseigne le Réseau des journalistes d’Investigation autour des Agressions contre les Femmes journalistes (REJAIFJI).

"Les cas les plus courants qui menacent les femmes journalistes dans cette région sont des agressions, des atteintes ou des menaces à leur sécurité, le harcèlement et des intimidations [...] ", explique Jérémie, coordonnateur du REJAIFJI.

Patricia*, journaliste au nord-est de la République démocratique du Congo, se souvient encore de cette nuit de septembre 2021 :

"Lorsque je revenais de mon travail, des hommes armés sont entrés à mon domicile et ont commencé à intimider tout le monde. J’ai été fortement tabassée et blessée. Ils ont emporté tout avec eux, mon téléphone et mon matériel de travail, notamment mon dictaphone, mon ordinateur portable ainsi qu’une somme importante d’argent" confie-t-elle.

Géraldine*, journaliste et rédactrice en chef, a été également agressée par des inconnus en revenant du travail.

"C’était juste après ma prestation au journal vespéral. À quelques mètres de la radio, des hommes inconnus m’ont poursuivie à moto, ils m’ont demandé de l’argent en disant : nous savons que tu es journaliste, donne-nous de l’argent que tu gagnes à la radio. Lorsqu’ils ont compris que je n’avais rien sur moi, ils m’ont agressée physiquement jusqu’à perdre mon contrôle. Mes bourreaux m’ont abandonnée, ce sont des personnes de bonne volonté qui m'ont conduite à l’hôpital", raconte-t-elle.

Isabelle* témoigne quant à elle de la détérioration volontaire de son matériel lors d'une interview : "[...] pendant l’interview, l’amie de mon interlocutrice a ravi mon dictaphone et l’a jeté. Cassé déjà, je l’ai récupéré en étant frustrée et humiliée. Ma rédaction avait saisi le cas avec une mise en garde orale à l’égard de ces femmes", témoigne-t-elle.

À cause de ce contexte sécuritaire, combiné à la crise sanitaire du COVID-19, certaines femmes quittent leur emploi de journaliste.

Comment expliquer l'ampleur de cette violence ?

  • L’impunité. Suite aux agressions tant physiques que psychologiques commises sur les femmes journalistes, il n’y a souvent pas de poursuites judiciaires contre les auteurs Les rédactions en font sujet d’information, mais en terme de rendre justice, rien n’est entrepris, même si l’auteur de la violence est identifié. Ainsi, la menace contre les journalistes devient monnaie courante.
  • "Plusieurs entreprises de presse n’ont pas de budget pour rémunérer leurs journalistes. Et donc les dépenses de prise en charge (autour de la sécurité) des femmes journalistes ou tout autre journaliste demeure encore une question de moindre importance pour le moment, car ces entreprises priorisent d’abord leur fonctionnement", explique Jack Maliro Katson, enseignant en journalisme multimédia à l’Université de l’Assomption à Butembo.

Un frein pour les femmes journalistes

Souvent, aucune prise en charge psychologique n’est proposée pour accompagner les journalistes. En octobre dernier, Antonina*, journaliste reporter d'images, a été victime d'une agression physique à la sortie de son lieu de travail. Cela a de nombreuses répercussions sur son quotidien. Elle ne peut plus travailler jusqu’aux heures tardives, parce qu’elle garde le traumatisme de ce qu’elle a subi.

"Dans le cas d’agressions physique, psychologique et sociale à l’endroit des journalistes, les femmes journalistes sont les plus grandes perdantes. Et pourtant dans le paquet des politiques et protocoles de sécurité, plusieurs acteurs intervenant dans la protection et la sécurité des journalistes conseillent aux médias de prévoir une prise en charge genrée, consistant à apporter une préparation et un soutien spécifique aux femmes journalistes, qui sont confrontées à des risques propres à leur genre tel que le cyberharcèlement en ligne et physique", explique Jérémie, coordonnateur du réseau.

Des initiatives de poursuites judiciaires 

Le Collectif des femmes journalistes (CFJ) est un organe qui accompagne les femmes journalistes et propose un suivi juridique et psychologique. Comme l'une des journalistes qui a témoigné dans cet article, le CFJ a initié des plaintes pour rendre justice aux femmes, mais jusque-là des résultats ne sont toujours pas probants. 

Plusieurs autres organisations professionnelles de femmes journalistes luttent pour protéger nos consœurs. À l’instar de l’Union Congolaise des Femmes des Médias (UCOFEM), qui a diffusé des communiqués pour dénoncer des abus commis sur des femmes journalistes. Elle est allée plus loin en diffusant des spots radio pour sensibiliser le public sur le respect des droits des journalistes. 

Pour Jérémie, "les femmes journalistes ne doivent pas attendre que les cas d’agressions soient répétitifs ou atteignent un certain niveau de gravité pour les dénoncer. L’UCOFEM et le CFJ doivent accompagner leurs membres jusqu’à atteindre un résultat et collaborer avec le REREJAIFJ [...]".


*Les prénoms ont été modifiés  

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